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ses adversaires, ne mettait en doute l’issue du débat : la majorité « gothardiste » était forte et compacte ; les argumens des cantons orientaux, partisans du Lukmanier ou du Splügen, ou des cantons occidentaux partisans du Simplon, tout comme la pétition de 58 000 protestataires, étaient voués par avance à un échec indiscuté.

Mais voilà que la rupture entre la France et la Prusse est imminente ; on connaît à Berne les paroles prononcées par le duc de Gramont et par Émile Ollivier ; la guerre n’est pas déclarée, mais elle est certaine. Pour sauvegarder la neutralité de la Suisse, le Conseil fédéral vient de décréter la levée des troupes, la levée de 40 000 hommes. L’émotion est poignante. La pensée et les préoccupations sont ailleurs qu’au Gothard. À quoi bon signer un pareil traité, alors que personne ne sait quelle sera demain la carte de l’Europe ? À quoi bon presser le débat et les décisions parlementaires, alors que les détenteurs des capitaux attendront à coup sûr la fin de la crise pour donner suite à leurs engagemens ?… Ces réflexions sont celles d’un grand nombre de députés de tous cantons et de tous partis ; elles rendent quelque espoir aux ennemis du Gothard : les délibérations sur le traité avec l’Italie remises sine die, n’est-ce pas la seule chance qu’ils puissent avoir d’une moindre défaite ?… Mais les Gothardistes se reprennent ; ils pressentent et interprètent les événemens comme leurs adversaires : ils redoutent ce lendemain si trouble et qui sera certainement si troublé ; tout est prêt pour leur projet ; coûte que coûte, et quels que soient les événemens, il faut profiter des circonstances favorables et des avantages si patiemment conquis ; il faut s’opposer à tout ajournement.

Tel est l’état d’esprit surexcité qui règne au Conseil national en ce matin du 18 juillet 1870, lorsque le président ouvre la séance. Il arrive souvent dans l’histoire parlementaire que la vraie bataille, — celle qui est décisive, — se livre à propos d’une question accessoire, question de règlement ou question d’ordre du jour. Il s’agit ici de décider si les députés renverront oui ou non à une session prochaine cet important débat.

Au sein de la Commission, l’ajournement n’est rejeté qu’à une voix de majorité, — par quatre voix contre trois. Dans la séance même du Conseil national, les Gothardistes sentent qu’ils jouent leur va-tout ; ils trouvent en face d’eux, alliés à leurs adversaires déclarés, des amis d’hier qui seront encore des amis de