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qui mènent le marché universel. C’est par-là aussi qu’ils tiennent dans leur dépendance les rabbins qui, dans le Ghetto, formaient une sorte de patriciat et ne sont plus ici que des gagistes. Que pensent-ils de la question juive ? Tout simplement qu’il n’y a pas de question juive. Dans les Ghetto comedies, on voit sir Assher Abrahams, qui a occupé un siège au parlement et qui a été fait chevalier par la Reine, prononcer, à table, devant ses hôtes chrétiens, qui en sont profondément édifiés, une longue prière où il demande à Dieu de repeupler Jérusalem et de rebâtir son temple. Pour écouter ces pieuses paroles, il oblige ses enfans à se couvrir la tête avec une serviette, à défaut des Phylacteries sacramentels. Mais il refuse carrément la main de sa fille à un jeune homme qui a voué sa vie au sionisme, c’est-à-dire à la rapatriation des Israélites en Palestine.

Les Goldsmith sont encore plus accommodans avec le christianisme ambiant et il leur échappera de vous souhaiter une Merry Christmas sans y entendre malice ou y attacher d’importance. Ils entretiennent, par décence, des journaux scrupuleusement orthodoxes, mais ils attendent le Messie avec une patience qui est loin d’être épuisée. En somme, il leur paraît que les choses ne vont pas trop mal dans cette société de l’Occident chrétien où, jadis, placés au dernier rang, ils supportaient tout le poids écrasant de la structure sociale et au sommet de laquelle ils sont aujourd’hui confortablement installés.

Pourtant, au milieu de cette prospérité où ils s’épanouissent, il est des âmes inquiètes et délicates que tourmente le génie de la race. Raphaël est une de ces âmes-là. Il croit fermement à un idéal juif et à un avenir glorieux pour sa nation. C’est la religion qui a préservé l’unité du peuple hébreu dans sa dispersion à travers le monde. Il faut donc, pour continuer l’œuvre des siècles et pour la servir, demeurer invinciblement fidèle à cette religion et à ses pratiques. Cet ancien étudiant d’Oxford, nourri de toutes les idées modernes, refuse à sa raison le droit de discuter des rites dont le sens, parfois, lui échappe. Il fonde un journal qui servira de signe de ralliement à tous les orthodoxes, tout en élevant, de plus en plus haut, l’idéalisme religieux qui est, suivant lui, la raison d’être, le sceau de la prédestination juive, et il invite à y collaborer une jeune fille, assise près de lui à la table des Goldsmith, une enfant du Ghetto que nous aurions pu remarquer au cours des premiers chapitrés du