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collective de ces droits, l’organisation collective de ces intérêts ; pourquoi ne réaliserait-on pas aussi le collectivisme dans l’ordre économique, à commencer par le régime de la propriété ? — Mais l’ordre économique n’est nullement l’ordre juridique et politique. Il n’y a d’absolument général, dans l’ordre économique, que certains grands intérêts qui enveloppent aussi des droits et qui, en effet, deviennent ou peuvent devenir de plus en plus œuvre collective. Mais l’ordre économique, au-dessous des droits universels et intérêts universels, est le champ des intérêts individuels ou associés ; c’est aussi la sphère du travail individuel ou volontairement associé, qui varie selon les personnes, selon leur intelligence, leur force corporelle, leur valeur morale, etc. C’est, par cela même, la sphère des libertés. On ne peut donc, de ce que l’autorité juridique et politique est devenue collective dans les démocraties, conclure que le progrès économique doive aussi être l’œuvre d’une autorité collective. Ce progrès est essentiellement œuvre de liberté ; l’autorité n’y intervient que pour assurer la liberté même avec le respect de tous les droits. Que la part de l’intervention collective dans l’organisation économique aille croissant, cela est possible, probable et même certain ; mais il n’en résulte pas que tout doive devenir collectif. Un régime de liberté économique pour les individus et pour les associations, sous des règles de justice absolument communes à tous et égales pour tous, constitue une démocratie économique et n’est nullement le collectivisme, De même, la diffusion progressive des capitaux aux mains des travailleurs, avec l’égalisation progressive des conditions et la disparition progressive des « classes, » voilà de la démocratie sociale, et ce n’est pas du collectivisme.

Le régime de justice civile, politique et sociale, fondé sur l’idée du droit, s’oppose au régime distributif des richesses et du bien-être, fondé sur l’idée d’intérêt. Il a cet immense avantage que les droits qu’il protège, qu’il consacre ou rétablit, sont les droits de tous, égaux pour tous, assurant la liberté réelle de tous. Nous trouvons là un exemple de ces biens dont parle Platon, qui peuvent être possédés par les uns sans que les autres en soient dépossédés. Pour vous rendre justice, je n’ai pas d’injustice à faire aux autres ; pour maintenir votre liberté, je n’ai pas à confisquer la liberté des autres ; pour reconnaître vos droits, je n’ai pas à méconnaître les droits des autres. Les connaissances que j’acquiers vous privent-elles des vôtres ? La lumière qui