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maintenant la force motrice centrale, qui est intellectuelle et morale. Si on continue d’oublier les personnes pour les choses, celles-ci finiront par nous échapper à leur tour, de même que, sans les progrès de la théorie, la fameuse technique dont parle Marx s’arrêterait net. Le moulin à bras, faute d’eau, le moulin à vapeur, faute de force motrice, finiraient par demeurer immobiles ; pareillement le moulin de la civilisation industrielle, faute de pensée. On répète sans cesse : Primum vivere, deinde philosophari ; mais, si une société démocratique ne philosophe pas, soit sous forme religieuse, soit sous forme métaphysique et morale, elle ne pourra pas vivre.


II

Dans l’éducation, le faux individualisme, le faux égalitarisme et le matérialisme économique inspirent la plupart des réformateurs qui prétendent parler et agir au nom des principes démocratiques. Le nivellement, l’« indifférenciation » et l’anonymat sont leur idéal. — « Enseignement primaire ! » Pourquoi primaire ? Ce nom a quelque chose d’odieux ; il rappelle les classes, les castes, les inégalités ! enseignement intégral sonne bien mieux. Et de même, au second degré de l’instruction, que parle-t-on d’études « libérales, » de professions « libérales ? » Avons-nous donc encore des esclaves ? Les études classiques manifestent une prétention nobiliaire ; remplaçons-les par des études modernes ou, ce qui serait mieux encore, par des études contemporaines, au jour le jour. Egalité des sanctions pour tous les individus ; examens spéciaux et purement professionnels à l’entrée des carrières, où l’on viendra se présenter des quatre coins de l’horizon et où les examinateurs ne s’inquiéteront de constater qu’une chose : avez-vous les connaissances techniques individuellement utiles au médecin, s’il s’agit de médecine, à l’ingénieur, s’il s’agit de ponts et chaussées ou de tabacs, à l’avocat, s’il s’agit du Barreau (vieille institution d’ailleurs, comme l’Armée, l’Université, l’Ecole polytechnique, l’Ecole normale, etc.) ? « Si un homme connaît bien son métier, que voulez-vous de plus ? » s’écriait à la Chambre un ancien ministre de l’Instruction publique.

Selon nous, cette conception individualiste de l’enseignement est fausse ; le nivellement universel qu’elle poursuit est opposé