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Sur les millions de barriques de vin qui entrent aujourd’hui à Paris, 2 ou 3 pour 100 seulement coûtent plus de 100 francs l’hectolitre ; la capitale pourtant reçoit proportionnellement à toute autre ville, beaucoup plus de vins fins. Ceux-ci demeurent donc exceptionnels comme ils l’étaient naguère, mais les autres, ceux que consomment les classes moyennes et populaires, se sont transformés par ce seul fait que la vigne a de plus en plus émigré vers le Midi, suivant la tendance de toutes les cultures à se concentrer dans les régions les plus favorables.

Les années que l’on regardait, en tel district de Provence ou de Languedoc, comme rares et même embarrassants par leur rendement excessif au xve ou au xviie siècle, sont inférieures de moitié ou des deux tiers aux années normales d’aujourd’hui dans ces mêmes districts. Le nombre actuel des hectares, couverts des cépages choisis parmi les plus productifs, explique cet accroissement, fructueux d’abord, puis si exagéré, que les Méridionaux, ruinés par l’abondance, ont fini par s’insurger contre leur propre surproduction. Cette inondation de vins eût-elle été causée par le sucrage des vendanges, que le législateur, à vingt ans d’intervalle favorisait par des remises d’impôts au temps du phylloxéra comme une « pratique recommandable, » (1884) et flétrissait ensuite du nom de « fraude délictueuse, » l’histoire, indulgente aux contradictions des hommes, ne saurait s’en émouvoir.

Des moûts ou des piquettes sucrés, miellés, aromatisés, soufrés si fortement que leur couleur s’en ressentait, c’est ce que l’immense majorité de nos aïeux a bu sous le nom de vin pendant six siècles, dans la plupart des départemens où le raisin mûrissait mal et où les vignes, regardées comme une richesse, ont subsisté, grâce au prix élevé de leurs produits, jusqu’à ce qu’elles aient passé au contraire pour une charge, concurrencées de nos jours par des jus plus alcooliques ou meilleur marché.

Car, si les grands vins n’ont guère enchéri, les vins communs ont beaucoup baissé de prix : c’est de 30 à 70 francs l’hectolitre que se paya durant cinq cents ans le vin des maçons ou des soldats, celui qui était aumône aux pauvres par les hospices ou distribué gratis lors des fêtes publiques. Quelques boissons ont disparu : la « bouillie » par exemple, décoction d’eau et de son que les paysans du Nord faisaient fermenter avec du levain. Les autorités actuelles n’ont plus souci d’interdire le brassage de la bière en certaines années, à cause de la rareté des grains. Il n’est