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par leurs enfans. Tous se divertissent à tailler les arbres, à couper et à planter les boutures. Fatmé Alié parle beaucoup de ses livres ; mais plus encore de ses rosiers.

— Oui, — dit-elle de sa voix aiguë et inlassable, — le jardinage, l’exercice sont nécessaires pour la santé… C’est le grand malheur de nos femmes turques de vivre enfermées. Les riches ont des jardins ; elles ont des voitures et des calques qui les transportent à la campagne ; elles ont des villas, des yalis sur le Bosphore, des parcs où elles peuvent marcher, jouer au tennis, aller même à bicyclette. Les femmes du peuple doivent supporter, en ville, les chaleurs épuisantes de l’été. Elles ne quittent leurs logis sombres et malsains que pour les rues malpropres ou les cimetières. Le soleil et l’air ne touchent jamais leur visage. Comment résisteraient-elles à l’anémie qui les décime ? Vous avez remarqué leur teint jaune, leurs corps bouffis ? Les avez-vous trouvées belles ?

Non. Je n’aurais pas osé le dire à Fatmé Alié ; les voyageurs qu’excite le mystère du tcharchaf seraient bien déçus si toutes les passantes de Stamboul levaient leurs voiles. La beauté turque est rare, très rare, car la beauté ne va pas sans la santé.

Dans le monde riche, on trouve encore les éclatantes figures blondes, les yeux vert de mer, les formes robustes héritées des aïeules circassiennes. Mais dans le peuple et même dans la petite bourgeoisie, quel déchet ! Ce n’est pas que la race soit laide, bien au contraire ! elle est enlaidie par la mauvaise hygiène, la vie sédentaire, la réclusion. Les jeunes filles turques sont des fleurs de cave.

Certes, les yeux sont splendides, toujours, les chevelures pesantes et soyeuses. Il faut les admirer, sans arrêter un regard trop insistant sur les dents douteuses, les chairs molles, la peau qui n’a pas la chaude pâleur italienne, mais une pâleur morbide, révélatrice d’un sang appauvri. Pénibles à voir sont les effets plastiques de la dégénérescence graisseuse. On mène, en France, une campagne contre le corset. Que les ennemis de cet objet de toilette aillent voir, en Orient, ce que deviennent les dames anémiques et grasses dépourvues de ce soutien protecteur !

Un chirurgien du pays me disait un jour :

— Les femmes turques ? À vingt-cinq ans, leur chair est mûre. Le couteau entre dedans comme dans du beurre.

Fatmé Alié comprend que les tares physiologiques ne se