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penser qu’il y a telles des scènes ainsi projetées qui, sous la main du poète du Second Faust, auraient eu de quoi devenir d’admirables morceaux, tout imprégnés de pensée et de poésie, l’entretien de Sarastro avec les enfans, par exemple, ou bien sa rencontre avec la Reine de la Nuit, nous ne pouvons trop regretter que ces épisodes imprévus n’aient point reçu, pour nous émouvoir, la noble et légère musique qui s’exhale de mainte page des scènes précédentes. Et nous devinons aussi, grâce à M. Junk, la haute portée symbolique d’une pièce où se seraient trouvées reprises, et poussées plus à fond, les grandes idées vaguement entrevues déjà dans le livret de Schikaneder, ou plutôt dans la transfiguration qu’est parvenue à lui imposer la surnaturelle musique de Mozart : le conflit des deux principes des ténèbres et de la lumière, l’opposition des deux élémens figurés par Tamino et Papageno, et surtout la doctrine morale d’une initiation obtenue au moyen d’une longue suite d’ « épreuves, » qui, chez Gœthe, consistent moins en efforts corporels qu’en souffrances profondes de l’esprit et du cœur. Ce sont les mêmes idées qui, bientôt, se déploieront magnifiquement à nos yeux dans le Second Faust ; et il est curieux de noter l’influence indirecte que paraît bien avoir ainsi exercée, sur le poète le plus parfait de la race allemande, le génie du plus parfait de ses musiciens. Mais si nous voulons maintenant comparer, dans leur ensemble, l’opéra-comique de Mozart et celui que Gœthe a longtemps rêvé de lui accoupler, force nous est de reconnaître qu’une différence les aurait toujours séparés, qui non seulement les aurait empêchés de s’unir vraiment dans l’admiration et l’amour de la postérité, mais qui sans cesse encore aurait tourné à l’avantage du chef-d’œuvre fondé sur le livret imbécile de Schikaneder : faute, pour l’illustre poète, d’avoir senti et compris, — parmi les réflexions esthétiques dont il parlait dans sa lettre à Schiller, — la nécessité impérieuse d’animer de joie et de vivante gaieté jusqu’au plus harmonieux libretto d’un « opéra-comique. »


T. DE WYZEWA.