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de la Flûte Enchantée. Ce que le poète a voulu y exprimer nous apparaîtra plus clairement tout à l’heure, à la lumière d’un petit « plan » des scènes suivantes, retrouvé plus tard parmi ses papiers : mais dès à présent je dois déclarer qu’il y a tout un côté du livret de Goethe qui, vraiment, reste bien au-dessous des plus banales pitreries de Schikaneder. C’est le côté « comique » de cet « opéra-comique allemand ; » et même, il ne faut pas moins que le grand nom du poète de Faust pour nous rendre supportables tous les bavardages, à la fois grossiers et lugubres, de Papageno et de sa compagne. Qu’un esprit aussi sage et avisé que celui de Goethe ait cru pouvoir offrir au public allemand, dans cette pièce où ne résonne pas un seul éclat de rire, un équivalent de la farce immortelle créée par le génie de Mozart autour du personnage de Papageno, il y a là une erreur qui ne saurait s’expliquer que par un aveuglement professionnel, d’ailleurs commun aux esprits les plus hauts. Non, quelle qu’ait dû être la signification totale du poème inachevé, et quelque puissance de talent qu’ait réussi à déployer, sur ce Livret, non seulement un Wranitzky ou un Zelter, mais un Weber ou un Beethoven, jamais l’Allemagne ni le monde n’auraient consenti à associer dans leur cœur, avec la divine fantaisie de Mozart, cette pièce infiniment trop chargée de tableaux tragiques, et plus dépourvue de gaieté que les drames d’Egmont ou du vieux Gœtz de Berlichingen !

Mais, après cela, je ne crois pas que jamais l’auteur de ces drames ait rien écrit de plus « musical » qu’un certain nombre des scènes de ce livret d’opéra. A chaque instant, des strophes surgissent qui nous chantent aux oreilles comme les mélodies les plus savamment séduisantes : et il n’est pas jusqu’aux répétitions de vers, dans les ensembles ou les chœurs, qui ne donnent à ces vers une plénitude sonore d’un attrait merveilleux. Évidemment le poète, à force d’imaginer la musique qui allait revêtir sa pensée, a imprégné celle-ci de rythmes, de cadences, et d’harmonies verbales qui déjà nous tiennent lieu de cette partition rêvée, ou plutôt qui ne sauraient que perdre à se dissimuler sous une autre musique. C’est dans cette richesse prodigieuse de l’image et du son que consistent pour nous, à n’en point douter, toute la valeur et tout l’agrément du livret de la Seconde partie de la Flûte Enchantée, et sans même que nous ayons besoin, pour en jouir, de connaître l’ensemble d’un projet dramatique fatalement condamné, d’avance, à demeurer toujours irréalisable.


Je vais pourtant essayer encore de définir, en deux mots,