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encore ? J’en sais trois, les derniers, et pour les rendre immortels, il suffirait que la plus grande voix du moyen âge, la plus pieuse et la plus « courtoise, » quand elle n’en est pas la plus irritée et la plus vengeresse, les eût seulement prononcés. Mais Dante fait un plus long honneur à deux au moins de ces trois noms. Dans le Paradis, il rencontre Folquet de Marseille. « Folco, ainsi m’appela le pays où mon nom fut connu, et le ciel où nous sommes s’empreint de moi comme naguère j’en ai subi l’empreinte. » C’est le ciel de Vénus, où Dante a placé le poète en souvenir de ses nombreuses, mais sans doute honnêtes amours. Honnêtes, et pourtant, à l’entendre lui-même, d’une fabuleuse, d’une païenne ardeur : « Plus que moi n’a pas brûlé la fille de Bélus (Didon) au grand dépit (des ombres) de Sichée et de Créuse… Ni la Rodopéenne, que trompa Démophon, ni même Alcide, après que Iole fut entrée en son cœur. » (Parad., c. IX.) Transports innocens, encore une fois nous devons le croire, et le salut de Folco nous en répond. Aussi bien celui-ci finit archevêque de Toulouse, autre, sans doute, qu’il n’avait commencé. Et si Dante, à la fin de ce chant, met dans la bouche du troubadour des invectives, et terribles ! contre Florence et contre le Saint-Siège, c’est qu’il estimait cette bouche assez pure pour les justes reproches et les saintes imprécations.

Un autre, qui ne fut point chaste, souffre sa peine au Purgatoire, dans le cercle des luxurieux. C’est Arnaldo Daniello, sans doute l’Arnaud de Maroill de l’histoire. « O frère, celui-là que je te montre du doigt, fut le meilleur ouvrier du parler maternel. En poésie d’amour, en prose de romance, il les surpassa tous ; laisse dire les sots qui lui préfèrent le Limousin. » (Purgat., c. XXVI.) Le Limousin, nous le connaissons également. Auteur d’une admirable chanson d’aube, il s’appelait Guiraut de Borneil et fut surnommé maestre del trobadors.

Au témoignage de Dante, Arnaldo fut encore au-dessus de lui. Comme Dante aborde et salue, courtois lui-même, l’âme courtoise du gentil chanteur ! « Je m’avançai un peu et lui dis qu’à son nom mon désir préparait une aimable demeure. Alors il commença généreusement à me dire : « Si belle est pour moi votre gracieuse requête, que je ne veux ni ne puis à vous me celer : Jeu sui Arnaut, que plor et vai chantan… » Toute la réplique, en vieux provençal, est exquise. Elle s’achève par une demande de compassion et de prière. Et tout ce que l’histoire, la science, pourrait nous apprendre des troubadours et des trouvères, ne vaudra jamais ce vers unique, où tient le charme, le mystère de mélancolie de la poésie et de la musique entière :

Jeu sui Arnaut, que plor et vai chantan.