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même, entre une chanson d’amour courtois et une chanson pieuse. » L’une et l’autre pourraient porter en épigraphe le vers mystique de Verlaine :


Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.


Au siècle des trouvères souvent, par une sorte de confusion sainte, c’est un peu comme l’amour de Marie, de Notre-Dame, que l’amour de la dame était chanté.

Ce siècle d’art, ou plutôt ce siècle et demi (la seconde moitié du XIIe et le XIIIe tout entier), a fourni, dans les genres divers, un si grand nombre d’artistes, qu’il serait difficile, autant que vain, de les énumérer. M. Pierre Aubry lui-même s’est contenté de les distribuer entre les périodes successives et, pour ainsi dire, de semer quelques traits de leur histoire ou de leur légende autour des principaux de leurs noms. Les plus anciens paraissent bien avoir été Guillaume VII, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, Cercalmon, qui fut contemporain de la mort de Louis VI, et Marcabru, familier aussi de la cour poitevine. Mais que vous importent ceux-là ? Mieux vaut citer après eux, le premier, Jaufre ou Geoffroy Rudel, car il aima « la princesse lointaine » et, pour sa gloire, au moins pour le renouveau de sa gloire à notre époque, son œuvre sans doute n’aura pas tant fait que son amour. Vous plairait-il d’apprendre que Rambaut d’Orange aima, lui, la comtesse d’Urgel, qu’il n’avait jamais vue et qui ne le vit jamais ? Ou que Bertran de Born, passionné de combats, de politique et d’amour, alla finir dans un monastère sa vie trois fois aventureuse ? Mais qu’on nomme seulement Blondel, Blondel de Nesle, celui-là, vous croirez le voir et l’entendre aussitôt. Libre aux savans de ne plus reconnaître le Blondel véritable dans l’écuyer du « vaillant roi Richard. » Le héros de Sedaine et Grétry en porte du moins le nom ; que dis-je ! il en a l’âme, et vous verrez, en achevant ces pages, qu’il n’est pas loin peut-être d’en avoir même les accens.

Guerriers autant qu’amans, poètes et musiciens, nombreux sont les trouvères qui partirent, en la chantant, pour la croisade. On assure aussi que plus d’un, Huon d’Oisi ou Conon de Béthune, en serait, pour sa renommée, un peu trop promptement revenu. Gautier de Coinci fut ; dit-on, le plus pieux de tous. Les Miracles de Notre-Dame, tel est le titre de son œuvre, dont la foi seule fait le sujet et l’inspiration. Familier de Raymond VI de Toulouse, Raimond de Miraval était bien cligne, à ce titre, d’être choisi par l’illustre maître catalan Felipe Pedrell pour jouer dans sa noble trilogie de los Pirineos, un personnage poétique et mélodieux. Quels noms retiendrons-nous