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spirituel, c’est la vie courante, quelque innocente qu’elle soit, mais affairée qu’elle est ; c’est l’action, dont les obligations prétendues et les soucis nécessaires s’accroissent et se compliquent, captivans, absorbans, à mesure que l’existence s’écoule. Pris dans cet engrenage, les plus vertueux n’ont pas le « calme » indispensable à la conversion, « le dégagement d’esprit nécessaire pour réfléchir sur eux-mêmes et pour s’appliquer comme il faut à l’importante affaire de l’éternité. » De là, la théorie ascétique de la « solitude, » prêchée, — chantée, on peut presque le dire, — en une longue dissertation lyrique par M. Hamon, le poétique docteur de ces duretés : solitude bénie où seulement peut s’épanouir intact le lis de la sagesse chrétienne, jardin sacré où Dieu cache à l’abri de la tempête et couve les âmes qui lui sont chères. Sans doute, l’avocat de cet isolement sauveur n’est pas tout à fait tranquille avec lui-même ; il voudrait bien pouvoir démontrer que cette fuite craintive du siècle ne fait nul tort à l’amour du prochain, qu’au contraire, par une miraculeuse contradiction, le véritable solitaire s’ouvre à toute sorte de compassion sur ses semblables. « Il n’est point toujours nécessaire de sortir du désert pour être utile à ses frères ; on leur fait souvent plus de bien de loin que de près ; il ne faut que parler à Dieu pour eux… » Mais sa vraie pensée, c’est qu’au fond le chrétien n’a ni le devoir, ni le droit de tant se préoccuper d’autrui, que même c’est presque un péché que cette charité mal ordonnée. Agir sur l’homme est le privilège de Dieu. « Ce ne sont pas nos paroles qui versent l’huile dans les lampes de nos frères, qui entretiennent le feu du ciel dans leurs âmes ; c’est l’opération du Saint-Esprit… que nous attirons en priant. » Dans nos actes, sans prétendre leur servir, contentons-nous, — c’est un assez grand bonheur, — de ne leur point nuire. Et telle était, dès l’origine, la tendance des « disciples de saint Augustin, » celle de Saint-Cyran lui-même, en dépit des aspirations combatives et réformatrices de sa nature. Lui aussi, il affirmait que l’action était « autant maligne que la science et la volupté. » Nul ne croyait plus que lui « à la malignité du monde » et « à la nécessité de s’en écarter ; » c’est encore M. Singlin qui l’atteste : « Vous connaissez aussi bien que moi M. d’Andilly, écrit-il, — sa candeur, son innocence, son intégrité… S’il y a quelqu’un qui pût demeurer innocemment dans le monde, c’était lui, sûrement. Et pourtant, M. de Saint-Cyran croyait qu’il lui