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attentatoires aux droits des Polonais, contraires à la Constitution impériale et à la Constitution prussienne ; point de difficultés parlementaires ; une collaboration facile avec les conservateurs et les catholiques, assurée par des concessions alternantes aux uns et aux autres ; un mécontentement diffus chez les protestans ; à la fin de 1903, un regain d’ardeur loyaliste dû à la maladie de l’Empereur ; dans l’été de 1904, certaines attaques contre le chancelier ; puis, en 1905, l’explosion voulue et systématisée de la passion nationale ; l’assaut contre M. Delcassé ; sa chute pendant les fêtes données pour le mariage du Kronprinz, tel est le bilan de cette période. Le chancelier, en mai 1905, prend nettement l’avantage. Il a le pays derrière lui, l’Empereur avec lui. Et le titre de prince, en récompensant sa politique extérieure, vient fortifier sa situation intérieure.

C’est à ce moment cependant que la situation se complique et que commence à se préparer la crise de l’année suivante. Elle s’ouvre par un malaise économique que cause l’élévation croissante du prix de la viande. Dès 1903, pendant la discussion des tarifs, les partis de gauche avaient annoncé ce renchérissement. L’événement leur donnait raison. Sans doute, en septembre 1905, les agrariens, énergiquement soutenus par le ministre de l’Agriculture, M. de Podbielski, continuaient à nier le mal. D’après eux, les difficultés étaient toutes passagères ; la sécheresse seule était coupable ; le mouvement des abattoirs n’avait pas varié. Cependant les statistiques prouvaient que, dans les huit plus grandes villes d’Allemagne, — Berlin, Hambourg, Breslau, Magdebourg, Stettin, Cologne, Munich et Leipzig, — le nombre des porcs abattus avait sensiblement diminué de 1904 à 1905. Elles établissaient également que les prix avaient constamment monté, le porc passant de 90 marks le double quintal en 1900 à 130 marks en 1905, le bœuf de 100 marks en 1898 à 137 marks en 1903. Les bouchers protestaient et s’écriaient : « A bas les douanes ! » Les maires des grandes villes demandaient par dépêche audience au chancelier. Et malgré la réserve du prince de Bülow, on avait le sentiment de jour en jour plus net que l’optimisme imperturbable du ministre de l’Agriculture commençait à l’irriter. Le « porc cher » produisait dans les masses le même effet que le pain cher en d’autres pays. C’était un germe de désaffection avec lequel on devait compter.

Suivant les principes du marxisme, les socialistes estimèrent