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mort du curé de Saint-Sulpice[1]. Le comédien traqué, et pour ainsi dire proscrit de la capitale par un terrible prêtre, plus puissant que les amis que Molière pouvait avoir déjà, par son père, à la Cour, n’a-t-il pas dû, dès lors, se documenter sur son persécuteur ? N’a-t-il pas entrevu dès ce moment quelque chose de la mystérieuse association dont M. Olier faisait partie, et sur laquelle il s’appuyait ?

Contre cette hostilité, Molière put croire, quelques années après, avoir trouvé un défenseur. Il était devenu l’ami, le confident, il fut, dit-on, sur le point de devenir le secrétaire d’Armand de Bourbon, prince de Conti, frère de Condé et de Mme. de Longueville, et de 1653 à 1656, l’ « Illustre Théâtre, » parcourant le midi de la France, jouit de cette protection. Mais voici que tout d’un coup, en 1657, cette amitié s’écroule, ce patronage disparaît. Le prince de Conti, converti, s’affirme adversaire forcené des « spectacles. » « Il y a ici, écrit-il de Lyon à l’abbé de Ciron, des comédiens qui portent mon nom ; je leur ai fait dire de le quitter, et vous croyez bien que je n’ai eu garde de les aller voir. » L’abbé de Ciron était membre de la Compagnie du Saint-Sacrement à Toulouse ; le prince de Conti le devint à Bordeaux : Molière a bien pu l’apprendre, s’il a voulu se rendre compte de la volte-face de son protecteur. Et il était de retour à Paris en 1660, lorsque dans la Compagnie du Saint-Sacrement un regain de zèle se produisit « pour le service de Dieu que le monde tâchait d’éteindre, » — lorsque, dans ce duel ardent, le prince de Conti (affilié cette année-là au groupe parisien) se signalait, en faisant à lui seul « par son autorité et sa vertu plus d’ouvrage que plusieurs autres ensemble[2], » — lorsque enfin éclata ce scandale de l’Ermitage qui mit presque complètement au jour la vie intime et l’ambition de la Compagnie.

Sganarelle est joué en 1660, l’École des Maris et l’École des Femmes en 1662, et tout porte à croire que les esprits religieux protestèrent[3], — non sans raison, — ici contre les théories, au moins légères, de l’auteur sur la « tolérance des maris, » là contre ses irrévérencieuses allusions à la Guide des pécheurs,

  1. Faillon, Vie de M. Olier, 4e édit., 1873, t. II, p. 374-375.
  2. D’Argenson, éd. de dom Beauchet-Filleau, p. 168, 189, 203, 211.
  3. On connaît le passage de Bossuet dans les Maximes et Réflexions sur la Comédie, ch. V (éd. Gazier, p. 33-34), sur Sganarelle ; Bossuet avait été de la Compagnie du Saint-Sacrement.