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— entendez : dans les salons, — « ils triomphent[1]. » C’est qu’alors rien ne s’oppose à ce qu’ils espèrent de triompher aussi dans le gouvernement. La Reine mère a beau continuer, jusqu’à sa mort, — arrivée en 1666, — de témoigner aux croyans pieux une faveur que, du reste, même au temps de sa mondanité, elle leur avait toujours marquée. Vieillie, morose, importune à la Cour et à son fils, sa préférence ne l’emporte pas contre l’indifférence des trois ministres qui se partagent alors la confiance du jeune roi. Colbert, le Tellier, Hugues de Lyonne[2]sont tous trois fort peu dévots (le jésuite Rapin, qui les connaît, le déplore dans ses Mémoires à chaque pas,) et l’un d’eux, Lyonne, pousse assez loin le scepticisme de l’homme du monde renforcé de celui du diplomate pour que ses contemporains le classent parmi les libertins avérés. Dans un temps où l’incrédulité, relevant la tête, se prévalait de sympathies si hautes, il est bien probable qu’après que le scandale de 1660 eut dévoilé l’importance et le mystère du Saint-Sacrement, les rancunes et les appréhensions, provoquées à la ville et à la Cour par les agissemens indiscrets de la pieuse coterie, s’exprimèrent avec vivacité. Toutefois, ni les correspondances, ni les mémoires du temps, présentement connus, ne nous révèlent de protestations expresses. Seules les Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement de Voyer d’Argenson ont, ici encore, à cette date, un mot significatif, où se résument probablement beaucoup de petits faits que nous ignorons : « le monde était déchaîné contre les dévots. »

Chez les gens de lettres, en revanche, ce « déchaînement » est historiquement très saisissable. Entre 1663 et 1670, une véritable campagne de plume se mène contre les Dévots, de laquelle ne témoignent pas seulement des écrits oubliés, ni quelques passages des premières poésies de Boileau (alors ami et commensal des plus avancés « libertins »), où, parlant au Roi même, il dénonce assez vertement[3]« des faux zélés la

  1. Sermons choisis de Bossuet, éd. Hachette, p. 338. Déjà on 1662, dans le Sermon sur les Devoirs des Rois (prêché aussi au Louvre, 2 avril, ibid., p. 284), Bossuet (membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, ne l’oublions pas) sommait Louis XIV de jeter sur les blasphémateurs et sur les impies un « regard de sa face, afin qu’ils n’osent, paraître, » et qu’on voie s’accomplir en [son] règne ce qu’a prédit le prophète Amos, que « la cabale des Libertins sera renversée : » auferetur factio lascivientium.
  2. Le P. Rapin, Mémoires, t. III, p, 136 et passim ; Pierre Clément, Colbert ; Perrens, les Libertins au XVIIe siècle, etc.
  3. Discours au Roi, 1663.