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au duel qu’aux duellistes. Un combat singulier ayant eu lieu, vers ce temps-là précisément, entre les comtes d’Aubijoux et de Brissac, les chefs notoires de la sainte ligue contre le duel allèrent « solliciter les juges de faire un exemple pour la gloire de Dieu. » Il y avait là une de ces outrances dans le bien, — selon le mot dont bientôt après devait se servir Molière, — que, par un illogisme heureux, le bon sens français réprouve. « On s’étonna, » observe non sans quelque dédain Mlle de Montpensier, qui raconte le fait, « que des gens de qualité insultassent ainsi à des malheureux » même coupables[1]. En outre ; au milieu de l’année 1657, « la Compagnie résolut, dit Voyer d’Argenson, de travailler avec plus d’ardeur que jamais à examiner toutes les lettres des provinces qu’elle avait reçues au sujet des duels et qui pouvaient servir de mémoires (entendons de dossiers judiciaires) pour remédier aux détours par lesquels on éludait la force des déclarations du Roi » contre le duel. Si ces soins furent heureux, comme il est probable, il était bien difficile que cette nouvelle enquête[2], où la Compagnie, par un surcroît de zèle, crut devoir mettre au service de ses vues spirituelles une police de délation répugnante, n’éveillât pas l’attention irritée des victimes. On s’explique ce que le comte d’Argenson est obligé de consigner dans son histoire, vers cette date de 1660 : « L’esprit du monde ne pouvait souffrir la Compagnie. »

Mais il y avait encore, contre elle, autre chose. Alors se produisait, dans la société française cultivée, un de ces mouvemens d’ « anticléricalisme, » ou même d’anti-religion, dont M. Faguet a bien vu les très anciennes manifestations et le retour fréquent dans notre histoire[3].

A la Cour, autour du jeune Roi sur le point de régner par lui-même, tout un parti travaillait sourdement à perpétuer, malgré Anne d’Autriche convertie, la liberté de mœurs et aussi d’esprit que sa trop « bonne régence » avait débridée. Dans le

  1. Mlle de Montpensier, Mémoires, éd. Chéruel, III, 36-37 et Allier, la Cabale des Dévots, p. 329-330.
  2. Cf. la Revue, 1908, 1er août, p. 852.
  3. E. Faguet, l’Anticléricalisme. Paris, 1906. — Cf. pour les détails qui suivent, Études sur la Société dite des Libertins, dans les Œuvres posthumes de René Grousset. Paris, 1886 ; l’index du livre de Victor Giraud sur Pascal, Paris, 1905, au mot Libertins ; Perrens, les Libertins en France, 1896 ; Jules Lair, Mlle de La Vallière, 3e édition ; F. Brunetière, Manuel de l’histoire de la Littérature française, 2e édit., p. 113, 174, 175, etc. ; Allier, Cabale des Dévots, p. 385, 392 et suiv. ; A. Lefranc, Revue des Cours et Conférences, 1906-1907.