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des Chrétiens indigènes, les trufferies impudentes, les pieux cabotinages qui s’épanouissent dans la Ville-Sainte, comme en un terrain d’élection. Mais, ce qu’ils ne disent pas, c’est que chez ces moines qui les ont accueillis fraternellement, qui accueillent, avec la même bonne grâce, amis ou ennemis, tous et toutes, même les mères ou les femmes de ceux qui, en France, les persécutent, — chez ces moines, ils ont retrouvé vivant l’esprit du Christ. Pour moi, je n’ai senti nulle part, comme chez eux, la douce présence du Maître et la certitude de sa divine promesse : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles ! » — Et si, comme beaucoup d’autres, dans la Basilique du Sépulcre, j’ai pu me scandaliser devant les oripeaux barbares dont une piété naïve l’affubla, et devant des scènes inquiétantes de basse superstition, toutes ces impressions mesquines ont été soudainement balayées en moi, comme par un grand souffle purifiant, à la seule vue du Tombeau. Quand on songe seulement au torrent d’amour, qui a jailli de ce rocher pour se répandre sur le monde, on ne peut que tomber à genoux, en sanglotant de tendresse et d’adoration !

Ah ! Celui qui reposa sur ce marbre, usé par la ferveur des bouches adorantes ! Celui-là !… personne n’a été aimé, personne n’a fait aimer comme Lui ! J’ai rencontré de pauvres êtres, aux visages dégradés par la misère, qui, tout à coup, s’illuminaient d’une beauté radieuse, en touchant cette tombe de résurrection. Quel amour est-ce donc que cet amour du Christ, pour qu’en pénétrant dans une brute humaine il la transforme ainsi en une créature spirituelle et que, dans ses yeux obscurs et sur ses lèvres bestiales, il fasse monter une âme vêtue de clarté ! Je vois encore la figure d’une paysanne russe qui, un soir, vers trois heures, l’heure sainte du Consummatum est, montait au Saint-Sépulcre avec la foule des pèlerins. Ce souvenir m’est resté, comme celui du sublime le plus simple et le plus poignant qui m’ait jamais ému.

C’était à la porte de l’hospice où sont hébergés les pèlerins indigens, qui, par troupes errantes, arrivent de Russie. L’abjection, le dénuement de ces misérables est à vous serrer le cœur. Beaucoup d’entre eux ont fait la route à pied. Sordides, les vêtemens en lambeaux, quelquefois pieds nus, la barbe et les cheveux d’une saleté farouche, ils viennent se réfugier dans cette maison, où on les ravitaille, où on les rhabille et les