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nichées de moineaux, où de gros pigeons blancs lissaient leurs plumes sur le rebord de la corniche. Çà et là, au hasard, les hommes sont accroupis sur leurs talons. Les femmes, invisibles, sont parquées derrière une clôture qui occupe tout le bas de l’église. A travers les grillages, je les entends qui chuchotent et qui se poussent. Dans un coin d’ombre, une vieille, drapée de noir jusqu’au menton, toute droite et toute mince de la tête aux pieds, a l’air d’une colonne funèbre. Près de nous, sur des bancs très hauts, des vieillards accroupis tripotent leurs pieds nus : leurs babouches s’égaillent, un peu partout, sur le pavé luisant, comme une flottille de petits bateaux sur une eau calme. On jurerait absolument un intérieur de mosquée ! Des chants arabes glapis par un enfant à la voix pointue achèvent de préciser l’ambiance musulmane. Et pourtant mes yeux désemparés, qui furètent de droite et de gauche, en quête d’un symbole chrétien viennent de découvrir, dans un renfoncement de la muraille, un meuble étrange, dont je saisis mal d’abord la forme et l’usage : c’est un pressoir !… le pressoir qui sert à préparer le vin eucharistique ! Peut-être y a-t-il aussi, dans quelque recoin, un four où l’on cuit le pain de la Communion ! Et voilà ma pensée ramenée brusquement aux agapes évangéliques des premiers siècles.

J’observe les allans et les venans. On entre et on sort comme dans un bazar. On cause à haute voix. Personne ne paraît s’occuper de l’enfant à la voix pointue, qui continue à s’égosiller devant son pupitre : il chante véritablement dans le désert. Et on ne s’occupe point davantage de ce qui se passe derrière l’iconostase, où pourtant se devine un vague remue-ménage. La messe est-elle commencée ? Impossible de le savoir. Mes voisins interrogés me répondent des phrases confuses. Les conversations, les allées et venues n’arrêtent pas. Bientôt, je m’aperçois que toutes les poules du quartier ont envahi le sanctuaire. Elles picorent des miettes dans les interstices des nattes. Elles donnent des coups de bec sur les babouches à l’abandon. Une, plus effrontée et plus vorace que les autres, s’attaque même à mes bottines, lorsque, tout à coup, un coq pousse un corico éclatant qui la met en fuite. On ne s’émeut point. L’enfant qui chante semble rivaliser avec le coq. Je m’attends presque à voir paraître, derrière les poules, le compagnon de saint Antoine, patron du logis : c’est réellement la maison du bon Dieu !