Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas six mois, les massacres d’Adana nous rappelèrent atrocement qu’il ne saurait y avoir de paix durable entre dissidens orientaux. Ce n’est jamais qu’un armistice, lequel est à la merci de la circonstance la plus futile. Ces massacres furent hideux de cruauté et de barbarie, et, bien que la presse en ait atténué le récit, — sans doute, pour ne pas contrister les âmes naïves qui croient à l’avènement tout proche de la fraternité en Orient, — ce que nous en avons appris est plus que suffisant pour nous inspirer une défiance salutaire à l’endroit de la prétendue tolérance orientale. Je sais bien ce que l’on répond : c’est que les motifs qui précipitèrent les Turcs contre les Arméniens d’Adana n’étaient point religieux, mais économiques : des débiteurs insolvables ou injustement exploités auraient imaginé ce moyen commode de s’acquitter, qui est de supprimer leurs créanciers. Mais il est trop certain aussi que la différence de religion entre adversaires exaspéra, d’une façon terrible et hors de proportion avec les causes initiales, ces querelles d’intérêts. Il en est toujours ainsi d’ailleurs. Je défie bien qu’on me cite une seule guerre de religion proprement dite, qui n’ait pas eu l’intérêt pour point de départ.

Des cas de fanatisme comme celui-là ne sont nullement accidentels. C’est une maladie endémique et chronique. Pour peu que la surveillance administrative se relâche, souvent même sur une excitation clandestine venue du pouvoir central, les religions ennemies se ruent les unes contre les autres. Les personnes qui connaissent l’Algérie n’ignorent pas que, si nos troupes se retiraient seulement l’espace de vingt-quatre heures, les Juifs seraient massacrés dans toutes les villes : après quoi, ce serait le tour des Européens. En Orient, l’exaltation fanatique est montée au même degré. Les humanitaires qui ont l’illusion tenace, qui ne perçoivent qu’un effet de couleur locale dans les regards hostiles dont on les transperce au passage, en certains quartiers musulmans, ceux-là n’ont qu’à se rappeler des faits récens qui sont encore dans toutes les mémoires. A Constantinople, en avril dernier, une jeune fille turque fut martyrisée et son fiancé, tué par la populace et la soldatesque, pour l’unique raison que ce fiancé était Grec, — parce que cette Musulmane avait voulu épouser un homme qui n’était pas de sa religion. Voilà qui est catégorique ! Mais généralisons la question : oui ou non, un Musulman, un Hellène ou un Juif peut-il se