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M. le Ministre, sur le seuil de l’église ! Or, les religieux sont Italiens. On me dit qu’ils s’amusent à faire droguer à la porte le représentant de la République. Celui-ci s’impatiente. On l’entend grommeler derrière la tenture, qui ondule comme un rideau de théâtre, au moment où on va frapper les trois coups. Les gens du cortège, qui enragent, protestent bruyamment. Les cannes des kawass ébranlent le pavé de coups furibonds… Après dix bonnes minutes, un prêtre sort de la sacristie, enfilant encore son bras dans la manche de son aube, pestant et trépidant. Il rallie une bande d’enfans de chœur, dévale au galop à travers la nef, et, d’un geste malgracieux, présente le goupillon à M. le Ministre, devant qui la tenture vient enfin de s’écarter. M. le Ministre touche le goupillon d’un air dégoûté ; et, sans s’inquiéter de son cortège, fonce droit sur son prie-Dieu, comme on marche à l’assaut.

Cette fois, la violence des passions avait emporté le décorum ! Ce fut une entrée désastreuse !

Vues par ce côté drolatique ou par le côté « cérémonie, » il est certain que les religions orientales n’ont absolument rien de rébarbatif. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Elles couvent une exaltation non moins ardente que l’Islam. Je mets à part les Catholiques latins, qui ne sont pas du pays et qui dominent de haut la mêlée. Leur savoir et leur éducation, leur réserve et la dignité de leur tenue les distinguent de l’élément clérical indigène. Les autres ne leur ressemblent guère : Grecs, Russes, Arméniens, Abyssins, Coptes, Syriens et Juifs, tous ces gens-là ne rêvent que plaies et bosses. Lorsque j’étais à Jérusalem, il s’éleva une querelle entre Grecs et Arméniens à propos de je ne sais plus quelles réparations clandestinement entreprises par les premiers, dans l’Eglise du Tombeau de la Vierge. Grave affaire, attendu que la moindre réparation équivaut à une prise de possession ! Comment la dispute s’envenima-t-elle ? Toujours est-il que les deux partis en vinrent aux mains dans le sanctuaire et que six Arméniens restèrent sur le carreau ! Les Franciscains eux-mêmes, malgré leur évident désir de conciliation, sont obligés de se défendre à tout instant contre la mauvaise foi et les tracasseries des clergés hétérodoxes. Ils m’ont raconté notamment une histoire de tapis qui vaut son pesant d’or.

Cela se passe à Bethléem. D’après les traités et les traditions les plus anciennes, les Franciscains jouissent d’un droit