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ce qui exige un sacrifice. A Paris, il vient tous les jours, je suis sa promenade et son habitude. Ici, il faut une journée, et chaque jour il dit : Demain. Voilà l’homme ; et voilà ce qui fait que toutes les personnes qui l’ont aimé ont été malheureuses, quoiqu’il ait de l’amitié et surtout beaucoup de bonté. »

Le jugement, cette fois, était sévère jusqu’à l’injustice. Assurément, Chateaubriand était oublieux, fantasque, et je ne dirai pas égoïste, mais égotiste, comme tous les hommes de génie. Mais il n’aurait pas été tant aimé, s’il n’avait pas été aimable, et capable, tout comme un autre, de sacrifice et de dévouement. Nous savons que, pendant ces dernières années de Mme de Duras, il lui donnait le plus qu’il pouvait de son temps, s’ingéniait à la distraire par ses visites, ses conversations, les lentes promenades qu’elle faisait à son bras. Il lui écrivait un 1er janvier : « Ma vie ne sera pas bien longue, mais ce qui m’en reste est à vous. Je ne sais pourquoi je suis si sensible aux nouvelles années. Qu’y a-t-il de différent entre hier et aujourd’hui ? Apparemment qu’un 1er janvier est un jour où l’on tourne la tête et où l’on regarde derrière soi sur le chemin qu’on a parcouru. Je vois que j’ai marché avec vous, et j’achèverai avec vous le voyage. »

Voici peut-être la dernière, ou tout au moins l’une des dernières lettres qu’elle reçut de lui :


Paris, le 27 décembre 1827. — « Cette lettre vous arrivera le 1er janvier pour vous souhaiter la bonne année. Elle le sera pour nous, car enfin vous nous reviendrez. Vous cesserez d’avoir vos amis en antipathie, et comme le temps vous aura prouvé que votre maladie, pour avoir été longue, n’a rien cependant de grave, rassurée sur l’avenir, vous voudrez le passer au milieu de ceux qui vous aiment.

« Je ne puis vous mander les caquets de la société, puisque je ne sors pas de mon hospice, mais je puis vous parler des bruits politiques. Ma position est complètement changée. Les dernières élections ayant prouvé que toute la France est constitutionnelle et monarchique, on convient que j’avais raison. Il n’y a rien de plus comique que d’entendre aujourd’hui la Cour même parler de la Charte et de la nécessité de marcher avec les libertés publiques. On ne parle que d’un ministère de coalition, et personne ne sourcille au nom même de Royer-Collard et de Casimir Perier. En effet, il n’y a qu’un ministère de coalition