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écrit d’Andilly à son amie de Lausanne, le 24 juillet 1824 :

« M. de Chateaubriand y viendra [à Andilly] après le départ de sa femme qui va passer quelques mois en Suisse, mais ce n’est pas dans la partie que vous habitez. Vous jugez que j’ai été bien fâchée de cette rupture [entre Chateaubriand et Villèle], je ne vois pas de repos possible sans cette union de deux hommes que rien n’aurait dû éloigner l’un de l’autre et qui pouvaient faire tant de bien. Je veux oublier la politique où les femmes ne sont guère que par sentiment. Je voudrais que M. de Chat[eaubriand] travaillât, mais il n’en fera rien. Son Histoire de France eût été admirable. Je lis Froissart qui me fait doublement regretter que M. de Chat[eaubriand] ne soit pas le Froissart de nos temps ! Qui pourrait les peindre mieux que lui ? »

Elle disait un peu plus tard de Mme de Chateaubriand : « C’est une personne qui a de l’esprit et surtout de l’originalité ; elle adore son mari et cela me paraît sa meilleure qualité[1]. » Et, en 1826, les deux époux ayant formé le projet de passer quelque temps à Lausanne, elle adresse lettres sur lettres à Mlle de Constant pour la prier de se mettre à leur disposition et de leur procurer une maison meublée à leur convenance[2]. « Ce ménage ne procède point comme tout le monde, écrivait-elle à son amie ; mais il a tout ce qui est bien et bon à vivre, et vous les aimerez. » Et encore : « J’ai eu tort de ne pas vous prévenir sur les défauts de M. de Chat[eaubriand]. C’est un sauvage et le plus insociable des sauvages. Quand il était ministre ou ambassadeur, on ne pouvait parvenir à lui faire visite ; ne cherchez donc pas à le mettre dans le monde. Il est plus touché que je ne puis vous le dire de vos bons soins ; c’est vous qu’il aime à voir, et la confiance viendra. » Mais elle souffrait toujours, de jalousie peut-être autant que de ses misères physiques. « M. de Chateaubriand, disait-elle à Rosalie, ne me croira malade que quand je serai morte : c’est sa manière : elle épargne bien des inquiétudes, et si j’avais eu cette manière d’aimer, il est probable que je me porterais mieux. » Or, cinq jours après,

  1. Voyez à cet égard G. Pailhès, Mme de Chateaubriand d’après ses Mémoires et sa Correspondance, 1887 ; Mme de Chateaubriand : Lettres inédites à Clausel de Coussergues, 1888 ; Chateaubriand, sa femme et ses amis, 1896 ; Bordeaux, Féret ; — et les Cahiers de Mme de Chateaubriand, publiés intégralement avec introduction et notes, par M. J. Ladreit de Lacharrière. Paris, Émile-Paul, 1909.
  2. Voyez les deux aimables et intéressans volumes de Mlle Lucie Achard sur Rosalie de Constant, sa famille et ses amis ; Genève, Eggimann.