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seulement parce qu’il est une des « sources » de Dominique, — ses Réflexions et Prières nous font regretter qu’elle n’ait pas commencé plus tôt et fourni une plus longue et plus active carrière d’écrivain. Comme Mme de Sévigné, — à qui M. Pailhès la compare finement, — elle avait éminemment le tempérament littéraire, je veux dire un certain tour d’esprit et d’imagination, et le don de l’expression. Qu’il soit entré un peu de « littérature » dans son affection pour Chateaubriand, c’est ce qui me paraît l’évidence même, et c’est ce qui, peut-être, nous autorise à ne pas prendre trop à la rigueur ses lettres éplorées et gémissantes. Les hommes ou les femmes de lettres sont ainsi faits, hélas ! que leurs expressions dépassent toujours un peu leur pensée, ou leur sentiment intime. A leur insu, ils arrangent, pour l’exprimer, ce qui se passe au fond de leur cœur, et, en l’exprimant, ils s’en « soulagent. » C’est la commune rançon de leur talent et de leur succès, ou de leur gloire. A en croire certaines lettres de Mme de Duras, Chateaubriand eût été le plus inconstant, le plus ingrat, le plus égoïste des amis. En réalité, il n’était pas aussi noir que la « chère sœur » se le représentait parfois.

« Non, ma chère Rosalie, — écrivait-elle en 1823, dans un jour de justice, à Mlle de Constant, — M. de Chateaubriand ne m’a point abandonnée. Son amitié m’a toujours été fidèle, et la mienne l’a suivi dans toutes ses fortunes. Depuis quinze ans, je le vois tous les jours ; il n’a jamais cessé de m’être attaché, et son affection est aussi une consolation dans ma vie, un adoucissement à mes peines. Mais un des résultats d’une grande douleur, c’est d’empêcher de jouir de ce qui nous reste : on a perdu la sécurité, on n’ose s’appuyer sur rien, et cela suffit pour tout gâter. »

Cette « grande douleur, » c’est celle que lui causa le détachement de sa fille Félicie, qu’elle avait aimée tout d’abord, — et préférée, — comme elle aimait toutes choses, d’un amour passionné, et qui, au fond, fut peut-être moins dénaturée, moins coupable elle aussi, que sa mère n’a voulu le croire… Mais nous sommes toujours mauvais juges des douleurs d’autrui ; et que l’imagination y ait eu sa part ou non, celles dont témoignent les lettres de Mme de Duras à Rosalie de Constant dans les quatre dernières années de sa vie n’en sont pas moins réelles et navrantes. Toute malade qu’elle soit, elle continue à s’intéresser très activement aux faits et gestes du « cher frère. » Elle