Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/821

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Mme de Duras et son « cher frère » échangèrent pendant cette courte absence. Elle savait qu’il écrivait souvent et longuement à Mme Récamier, et elle en souffrait : « Mon pauvre frère, disait-elle, cela est bien jeune pour un vieux diplomate. Le tour de l’amitié ne viendra donc jamais ? Mais vous êtes comme la poule, vous jetez la perle et préférez le grain de mil. Il est, je crois, mauvais pour l’âme d’être un écrivain pour exprimer ce qu’on éprouve. Il doit y avoir moins de ressort pour les sentimens après qu’on leur a donné une issue, que lorsqu’on les a renfermés dans le cœur. » Mais elle n’en continuait pas moins à le protéger, à le conseiller, à calmer ses impatiences et ses colères : « N’espérez pas, lui disait-elle bien joliment, et non sans profondeur, n’espérez pas trouver des gens qui vous comprennent ! Les talens supérieurs sont, pour les gens médiocres, comme Dieu pour les incrédules. Ils le prient pendant la tempête et l’oublient après. » Un moment, l’on put croire que Chateaubriand allait donner un démenti à l’aphorisme. Villèle, en succédant à Richelieu, le fait nommer à l’ambassade de Londres. Il entrevoit dès lors la possibilité pour lui de jouer dans l’histoire de son temps le grand rôle diplomatique et politique qu’il avait toujours rêvé ; il n’a plus qu’un désir dominant : figurer au prochain Congrès, s’y imposer, et revenir de là ministre des Affaires étrangères. Les circonstances au total, — et l’amitié vigilante de Mme de Duras, — le servirent à souhait. René eut, comme l’on sait, l’honneur de représenter la France au Congrès de Vérone, il fut ministre, il eut « sa guerre, » une guerre qui fut, on en convient aujourd’hui, très heureuse au point de vue français. Mais il eut le tort de n’avoir point le triomphe modeste, et au bout de dix-huit mois de ministère, on lui infligea la plus humiliante des révocations. Moins de quatre ans plus tard, Villèle succombait à son tour sous les coups du grand écrivain, devenu le plus redoutable des polémistes.

La correspondance de Chateaubriand et de Mme de Duras reflète toutes les passions qui, au cours de ces sept années, agitèrent l’âme mobile de René. Mme de Duras a cette fois une autre rivale que celle qui n’a pas cessé de lui porter ombrage. Elle le sait, et elle souffre, non pas en silence, car elle aime trop pour ne pas se plaindre ; et ses plaintes, ses reproches, ses exigences blessent souvent l’ami volage qui, d’ailleurs, lui revient toujours, et qui sait si bien se faire tout pardonner. Les lettres qu’elle