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bien. Elles vous fatigueront peut-être, comme ces vilains bains soufrés que je prends à présent, et qui me font un mal horrible ; mais après, vous vous trouverez mieux : vous reprendrez des forces et vous vivrez, comme je vous l’ai prédit, cinquante ans après nous. Je ne sais encore ce que je ferai et ce que je deviendrai. Je m’ennuie ; j’écris un peu sur la politique… »


Paris, ce 10 août 1820. — « Votre petit mot m’a fait grand plaisir. J’espère qu’au moment où je vous écris, vous reprenez santé et courage. Vous resterez, comme je vous l’ai prédit, de longues années après moi, dans ce monde, pour me faire vivre dans votre amitié, au-delà de ma vie. J’ai beaucoup souffert et souffre encore : je suis redevenu sourd d’une oreille, comme l’année dernière. Je vais recourir au même remède. Je pars dimanche prochain pour aller voir ma nourrice, la mer. J’irai à Dieppe, je m’y baignerai quelques jours, puis je reviendrai à Paris.

« Je ne veux point importuner M. de D[uras] de mes affaires ; je n’y pense plus ; je ne sais pas pourquoi on avait pensé à moi, puisque je ne demande rien. Ces gens-là ne peuvent pas vouloir de moi, nous l’avons dit cent fois. Je vivrai ma destinée. J’écris dans ce moment, et je ne sais ce que je ferai de ce que j’écris. Au reste, toute cette machine tombe : j’aurai averti de sa chute, et je me ferai écraser sous ses ruines. Que peut-on de mieux, quand on veut comme moi le Roi et les libertés publiques ? Si j’échappe et que je survive à la monarchie, j’irai achever dans une chaumière, en Suisse, l’Histoire de France. Vous y viendrez, et nous parlerons de ces hommes dont nous n’aurons ni méconnu les fautes, ni abandonné les malheurs… »


Dieppe, ce 16 août 1820. — « Je suis ici depuis lundi. Cet air de la mer me fait un bien infini. Je passe mes jours à regarder ces flots qui nous ont vus naître : apparemment qu’on tient de son berceau comme de sa mère. Je suis allé revoir le château d’Arqués, ce matin. J’ai cueilli un gros bouquet d’immortelles sauvages : elles avaient bien choisi leur sol. Mais les Henri, où sont-ils ? Je vous dirai que je suis tout fier d’avoir retrouvé une preuve de mon ancienne mémoire. Dieppe est ma seconde garnison ; j’y étais en 89. J’ai reconnu jusqu’à la maison où je demeurais, le rivage où j’apprenais à faire l’exercice, et je me souvenais si exactement des ruines d’Arqués, qu’il m’a semblé