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I

Elle avait près de neuf ans de moins que Chateaubriand, étant née à Brest le 22 mars 1777. Elle était la fille unique du comte de Kersaint, ce gentilhomme breton qui, nommé vice-amiral par Monge en 1792, joua un rôle si noblement courageux à la Convention, et paya de sa tête, le 5 décembre 1793, la généreuse franchise de sa parole et l’indépendance de sa pensée. Ardente et passionnée, énergique et d’ailleurs libérale comme son père, Claire de Kersaint eut toute jeune beaucoup à souffrir de la désunion de ses parens. À seize ans, elle part, avec sa mère malade, aux Antilles pour y sauver les restes de la fortune maternelle : sa décision, son entente des affaires sont dès lors admirables. Après un court séjour en Suisse, Claire, sa mère et sa tante allèrent se fixer à Londres au mois d’avril 1795. La jeune fille n’avait pas la beauté en partage, mais elle était d’une haute distinction d’intelligence et de cœur ; elle causait, chantait dans la perfection ; c’était, de plus, un assez riche parti. Un autre émigré, le duc de Duras, la remarqua, demanda sa main, fut agréé. Le mariage fut béni à Londres en 1797. Deux filles naquirent de cette heureuse union : l’aînée, Félicie, en 1797, et la seconde, Clara, en 1799.

Les premières lettres que nous ayons de Mme de Duras sont datées de Paris, 1800. Elles sont adressées à son mari, et ont été publiées par M. Bardoux, dans le livre intéressant, encore qu’un peu incomplet, qu’il a consacré à la Duchesse de Duras, et auquel nous ferons plus d’un emprunt. Elles sont charmantes de chaude et jaillissante tendresse, de raison et d’entrain. La jeune femme était venue en France avec sa fille Félicie pour régler différentes affaires de famille et pour faire la connaissance de sa belle-mère. Un peu plus tard, en 1805, nous la retrouvons, avec ses deux filles, à Lausanne, où elle était venue rétablir sa santé ébranlée. Là elle se lia pour la vie d’un « tendre attachement » avec une nièce de Mme de Charrière, Rosalie de Constant ; et cette amitié fut l’origine d’une correspondance qui, conservée à la bibliothèque de Genève, va voir le jour pour la première fois. En essayant d’en extraire, comme nous allons le faire, tout ce qui concerne l’histoire des rapports de Mme de Duras et de Chateaubriand, nous n’épuiserons pas, tant s’en faut, l’intérêt