Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une semaine s’écoula sans que le parlement fit connaître ses intentions au sujet des réformes. Cette lenteur inquiétait les partisans du contrôleur : « Il faut se hâter, écrivait Trudaine. Plus on retardera, plus la résistance aura le temps de se préparer. » Il s’organisait, en effet, une opposition formidable. Une inondation de brochures s’abattait sur la capitale. Grands seigneurs et hobereaux, gens de robe et gens de finance, oubliaient leurs querelles, leurs divisions d’antan, et se réunissaient pour défendre leurs privilèges. Tant de fracas, tant de protestations, intimidaient Maurepas, qui commençait à s’en prendre à Turgot et le poussait doucement à esquisser un mouvement de retraite[1]. Le parlement, prédisait-il, refusera l’enregistrement : « Eh bien ! lui répondait Turgot, nous avons la ressource d’un lit de justice. — C’est vrai, je n’y pensais pas, ripostait le Mentor sur un ton d’ironie, le moyen est infaillible ! » Miromesnil persévérait dans son hostilité polie. Vergennes, Sartine et Saint-Germain, se renfermant dans leurs attributions, s’appliquaient à paraître désintéressés de l’affaire. Malesherbes, il est vrai, soutenait son vieil ami, mais sa fidélité était pleine de découragement ; il proclamait d’avance la faillite de ces beaux projets et proposait quotidiennement d’abandonner son portefeuille. Seul, Turgot faisait tête avec une croissante énergie. Intraitable sur les principes, il refusait toute concession, et dédaignait de ménager les hommes pour s’occuper uniquement des idées. « Ce qui est certain, mandait Mme du Deffand à Walpole[2], c’est que le Turgot ne cédera pas. Il n’y a pas d’homme plus entreprenant, plus entêté, plus présomptueux. »

Le 17 février, le parlement examina l’édit sur les corvées Quinze voix seulement, dit-on[3], acceptèrent l’enregistrement ; l’immense majorité rejeta le projet, et il fut résolu « qu’il serait

  1. « Les opinions publiques, confiera quelques mois plus tard Turgot à Louis XVI, font sur M. de Maurepas une impression incroyable pour un homme d’esprit, qui, avec ses lumières, doit avoir une opinion par lui-même. Je l’ai vu changer dix fois d’idée sur le lit de justice, scion qu’il voyait ou M. le garde des Sceaux, ou M. Albert, lieutenant de police, ou moi. C’est cette malheureuse incertitude, dont le parlement était fidèlement instruit, qui a tant prolongé la résistance de ce corps. Si l’abbé de Véri n’avait pas contribué à fortifier son ami, je ne serais point étonné qu’il eût tout abandonné et conseillé à Votre Majesté de céder au parlement. » — Lettre du 30 avril 1716. — Journal de Véri, passim.
  2. Lettre du 6 mars 1776. — Ed. Lescure.
  3. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 20 février 1776. — Archives de l’Aube.