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conséquence et pour couronner l’œuvre, rentrée en masse des protestans émigrés depuis Louis XIV, et par ce bienfaisant afflux, augmentation de la richesse et de l’industrie nationales. Tel était, nous apprend le confident de leurs pensées[1], le programme de Turgot d’accord avec Malesherbes, programme qui, de nos jours, paraît simple autant qu’équitable, mais dont l’exécution complète, en l’an 1775, eût constitué une révolution véritable.

Ces projets, faute de temps, ne furent d’ailleurs pas rédigés, et ils ne virent jamais le jour. Mais, vaguement soupçonnés, annoncés par les nouvellistes, ils augmentaient l’effervescence. Les discussions de l’assemblée prirent, sous l’empire de cette émotion, une allure assez violente. Après deux mois de délibérations, une députation solennelle fut envoyée au Roi pour lui porter des « remontrances. » L’orateur, dans un long discours, « supplia Sa Majesté de daigner considérer de quelle importance il était d’arrêter enfin les coups multipliés que tant d’écrivains portaient journellement à la religion, que la liberté de penser et d’écrire versait le poison sur toutes les classes de la société, que la dépravation des mœurs, suite infaillible de la licence des principes, en devenait d’autant plus générale[2]. » La conclusion était un appel direct à la force : « Sire, vous ne serez jamais plus grand que quand, pour protéger la religion, vous emploierez votre puissance à fermer la bouche à l’erreur… Le prince est ministre de Dieu, ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée ! » La réponse de Louis XVI à ces phrases enflammées fut d’une modération habile, jointe à une ironie discrète, où l’on devine la tactique prudente de Maurepas : « Tant qu’il régnerait, dit-il, son premier soin serait de faire respecter la religion et de veiller au maintien des bonnes mœurs, et il prendrait à cet égard les mesures qu’il croirait les plus efficaces. Il comptait bien d’ailleurs que les évêques y coopéreraient, en donnant, dans leurs diocèses, des exemples propres à ranimer la foi et la pratique des vertus[3]. »

Même attitude et même langage, avec un peu plus de froideur, lorsque, quelques semaines plus tard, de nouvelles

  1. Journal de Véri, passim. — Voir aussi l’Espion anglais, tome II, 14 décembre 1775.
  2. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 28 septembre 1775. — Archives de l’Aube.
  3. Ibidem.