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le sang par la persécution de 1614 ; quand, après deux cent cinquante ans d’exclusion absolue, nos missionnaires purent revenir au Japon (1860), ils trouvèrent 30 000 catholiques restés fidèles, dans le secret, à leur ancienne foi ; et les conversions, depuis lors, c’est-à-dire en un demi-siècle, ont doublé ce modeste nombre. Les différentes sectes du protestantisme, avec des ressources huit fois plus grandes en hommes et en argent, mais sans s’appuyer sur un premier contingent de fidèles, sont parvenues dans le même intervalle à égaler à peu près les chiffres catholiques. Un évêque russe, nommé Nicolas, d’un zèle et d’une habileté hors ligne, en s’entourant de convertis qu’il a faits catéchistes et même prêtres sans obligation de célibat, a su conquérir, lui seul, environ 30 000 âmes à l’Eglise orthodoxe. Et voilà, toutes confessions chrétiennes réunies, l’état présent de l’évangélisation chez les Japonais : trois baptisés pour mille païens.

Si nous cherchons quelles causes pourraient expliquer la médiocrité ou du moins la lenteur de ces résultats, nous en trouvons une première et fondamentale dans ce fait que les Japonais regardent le christianisme comme une religion étrangère, la religion de ces Blancs dont ils ont bien voulu accepter les sciences et les industries, parce qu’elles l’emportaient trop clairement sur les leurs et qu’elles étaient indispensables à leur avancement matériel, mais dont les croyances, les mœurs, les inclinations ne leur paraissent en aucune façon préférables aux leurs. Et il est certain que, pour la dignité de vie, la pratique religieuse, les préoccupations morales de n’importe quel ordre, les voyageurs, négocians, marins, d’origine chrétienne qui fréquentent le Japon ne sont généralement pas faits pour y donner de notre foi une bien haute idée. Il en va autrement, par bonheur, des missionnaires de toute confession ; mais l’impression plus favorable que ne manquerait point de produire leur vertu, est tristement contre-balancée par leur diversité même et par l’opposition de leurs enseignemens : pour des infidèles que l’Evangile commencerait d’ébranler, rien de troublant comme de le voir tiré en des sens contraires par ceux qui viennent le proposer.

Or les difficultés seraient déjà bien assez grandes sans cette contradiction. La masse est retenue loin du christianisme par les mœurs et les habitudes ; et la chasteté durant la jeunesse ou dans le mariage monogamique suffirait, parmi les autres