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lombarde qui se borne presque toujours à n’être que de la belle et riche décoration.

Cette chapelle me paraît un peu mièvre pour abriter le sommeil de ce Bartolomeo Colleoni dont la haute et rude figure, telle qu’elle se dresse sur le campo S. Giovanni e Paolo de Venise, me poursuit au milieu de tant de grâce et de fadeur. Mais peut-être est-ce Verrocchio qui a exagéré et qui a voulu élever, plutôt qu’une effigie particulière, une statue aux condottieri dont celui-ci était le dernier représentant. C’est avec lui, en effet, que finit le règne des grands aventuriers et Colleoni mourut sans avoir su ou pu, ou peut-être même voulu se conquérir une principauté. Aux sénateurs que Venise envoya pour le saluer sur son lit de mort, il déclara : « Ne donnez jamais à un autre général le pouvoir que vous m’avez confié ; j’aurais pu en user plus mal que je l’ai fait. » Il semble n’avoir eu d’autre ambition que d’acquérir de la fortune et d’en jouir, d’autre souci que sa gloire et le nom qu’il laisserait. De son vivant même, il commanda cette chapelle où il désirait reposer ; mais il expira avant qu’elle ne fût terminée. Pendant ses derniers jours, il venait parfois lui-même surveiller les travaux ; puis il allait contempler la plaine, où il s’était alternativement battu pour Venise et pour Milan, du haut des remparts que la paix faisait déjà inutiles.

Aujourd’hui, les fortifications n’ont plus rien de guerrier ; mais elles donnent encore à la ville un aspect majestueux que celle-ci garde avec orgueil, comme ces princes déchus qui conservent jalousement l’appareil de leur ancienne splendeur. On les a transformées en une magnifique promenade, ombragée de beaux arbres, et si déserte, dès que le soir tombe, qu’Arlequin, sans crainte, peut y donner ses rendez-vous. Par une claire matinée de septembre, faire le tour de Bergame sur ces remparts est une chose exquise. Les vues que l’on a sont infiniment variées. Les paysages changent comme une gigantesque toile de fond. Au Nord, c’est un panorama de montagnes où se déploie toute la chaîne si pittoresque des Alpes bergamasques que domine le pic des Trois-Seigneurs. Le val Brembano, le val Imagna, le val Seriana ouvrent leurs gorges profondes et accidentées, tapissées de pâturages et de forêts. Au Sud, la merveilleuse plaine de l’Adda s’étend à perte de vue, verte et unie, comme une mer immense aux flots calmes et amis. Les champs