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qu’on se rappelle cette phrase si curieuse : « La ligne des rochers, en approchant d’Arbois, fut pour moi une image sensible de l’âme de Métilde. » Mais cette Lombardie fut toujours son séjour de prédilection, et il resta fidèle à sa tendresse et à son admiration, lui qui ne voulut d’autre titre sur sa tombe que : milanese. Dans son enthousiasme, il va jusqu’à prétendre qu’aucun peintre n’a su immortaliser dans ses œuvres la beauté lombarde ; en quoi il est souverainement injuste pour Léonard de Vinci et Luini, qui ont si bien rendu la riche carnation des femmes et la chaude lumière des campagnes. Rien qu’à marcher sur cette route, au soleil nouveau, on comprend le charme que dut éprouver Léonard, au sortir de la suave, mais un peu austère Toscane, en découvrant cette plaine où tout respire la joie de vivre et la volupté ; avec quel amour il étudia ces jeunes filles et ces adolescens aux grands yeux allongés, si profonds et parfois si énigmatiques dans l’ombre ardente des paupières ! Quant à Luini, n’a-t-il pas exprimé l’âme même de ce pays et cette beauté dont parle Manzoni, « molle a un tratto e maestosa che brillà nel sangue lombardo ? » Nul n’a mieux fixé cette race un peu lourde, à la fois douce et robuste, et surtout ces femmes aux chairs fraîches, aux narines frémissantes, aux joues opulentes, que l’on devine moelleuses au toucher comme la pulpe d’un fruit mûr.

Ah ! la grâce des matins italiens, par les chemins bordés de champs et de prairies ! L’air est pur et léger. Le soleil commence à peine à faire monter de la terre humide la fine brume si caractéristique de cette plaine, ce brouillard impalpable, mais partout présent où, selon le mot de Michelet, « flottent la fièvre et le rêve. » La lumière se joue dans l’atmosphère et se répand en ondes calmes sur la campagne d’automne. Les vignes courent d’arbre en arbre, d’un pioppo à l’autre, le long, de la route, comme des guirlandes de fête. On comprend qu’elles aient toujours étonné et séduit les gens du Nord, habitués à voir les vignobles de France ou des bords du Rhin, avec leurs ceps revêches et rabougris. Goethe déclare qu’elles lui ont appris « ce que c’est que des festons. » Quant au président de Brosses, il s’attarde à les décrire avec toute la tendresse d’un Bourguignon qui se déclare moins sensible au plaisir de voir les belles choses des villes qu’à celui de jouir des spectacles de la nature. Il célèbre la richesse de ces vignes « qui sont toutes montées sur des