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sacrifiait les qualités vraiment picturales à l’idée ou à la pureté du dessin. Elle suivait en cela Vasari, qui parle très sommairement des peintres du Nord et s’étend au contraire avec complaisance sur les maîtres de l’Italie centrale qu’il avait connus en personne ou par une tradition immédiate. Ce n’est que plus tard, lorsqu’on lit à la couleur la place prépondérante qu’elle doit avoir en peinture, que l’on s’aperçut qu’en face de Florence et de Rome, les ignorant presque, Venise avait été aussi une capitale de l’art et, pendant un siècle, au moins leur égale. Et naturellement, comme on avait peu de documens et de renseignemens sur les écoles voisines moins importantes, on les rattacha à Venise et on fit de tous les peintres du Nord-Est de l’Italie des disciples du Titien dont le règne avait été le plus éclatant et le plus long. Aujourd’hui, les choses sont à peu près remises au point, et on a dégagé les caractéristiques de chaque groupe. On a tout d’abord mis à part celui de Padoue qui, quoique le plus proche de Venise, a le moins subi son influence ; sa curiosité scientifique, sa recherche de l’expression, sa précision, qui va parfois jusqu’à la sécheresse, n’ont rien du charme voluptueux des vénitiens. Des autres écoles de Vérone, Trévise, Vicence, Brescia et Bergame, c’est certainement celle de Brescia qui eut le plus d’importance et d’originalité. Le Moretto est un très bon peintre de second ordre dont je crois n’avoir exagéré ni le talent, ni la place qu’il occupe.


VI. — BERGAME

« En traversant les plaines delà Lombardie, Oswald s’écriait : — Ah ! que cela était beau, lorsque tous les ormeaux étaient couverts de feuilles et lorsque les pampres verts les unissaient entre eux ! Lucile se disait en elle-même : — C’était beau quand Corinne était avec lui… » Il est vrai : nous nous projetons sur les paysages ; mais n’est-elle pas délicieuse, cette route de Milan à Bergame, par une claire matinée de septembre ? « Elle est superbe, » dit, dans son Journal, Stendhal qui déclare le pays « le plus beau lieu de la terre et le plus joli qu’il ait jamais vu. » Certes, lui aussi, le regardait avec ses yeux de dix-huit ans, et je sais bien que lorsqu’il est ému par les splendeurs de la nature, lorsqu’un panorama, suivant son expression, « joue sur son âme comme un archet, » c’est qu’il se met lui-même dans les choses ;