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d’harmoniser et de graduer les couleurs. Son goût est délicat et sûr. Les tons s’opposent et se balancent avec l’art le plus savant. Des gris, des jaunes, des bleus pâles donnent à toutes ses compositions de la fraîcheur et de l’éclat. Il y a, dans certaines toiles, un peu de ce fondu qui a suffi pour immortaliser le Corrège et cette dégradation vaporeuse des teintes que les Italiens appellent sfumato. Tout est disposé pour la joie des yeux ; les personnages, les draperies, les ornemens, les motifs accessoires et aussi les paysages où il excelle. L’une des dernières acquisitions du Musée est la fresque du milieu de la salle, un Jésus portant sa croix, que l’on a enlevée de l’église Saint-Joseph où elle se détériorait : on peut y admirer un panorama de montagnes couronnées de châteaux forts qui permet également d’apprécier sa science de la perspective.

L’autre qualité du peintre, c’est l’équilibre parfait qu’il met toujours entre l’idée et sa réalisation, entre la conception de l’œuvre et son exécution matérielle. Traitant des sujets religieux, il donne à ses personnages la dignité et la noblesse qui conviennent. Une vie profondément spirituelle rayonne sur les visages. Dans son Saint Antoine de Padoue, la majesté tranquille et simple du saint élevant un lys d’un geste large, l’ardente vénération de saint Nicolas de Tolentino contemplant le thaumaturge, la sérénité bienveillante de saint Antoine l’abbé s’appuyant sur sa béquille, forment un trio que l’on ne peut oublier. Toutes ses Vierges ont une gravité pénétrante. Nous sommes loin de l’art compliqué des Florentins, de la Madone de Saint-Barnabé par exemple, sous laquelle Botticelli dut inscrire le vers de Dante,


Vergine madre, filia del tuo Figlio,


pour expliquer tout ce qui, dans les yeux de la Vierge, flotte d’énigmatique et de mystérieux ; et loin également des Vierges que peignait à la même époque le tendre Luini, avec leur chair savoureuse dont la camosità, la tondezza, comme disent les Italiens, est plus proche de la beauté païenne que de l’idéal chrétien. Le Moretto a suivi en somme la tradition vénitienne qui est exempte des préoccupations littéraires, théologiques ou philosophiques des peintres de Rome et de Florence. Comme Titien ou Palma, auprès de qui il travailla, Bonvicino est tout à fait indemne de ces influences plus intellectuelles que picturales. Sa