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crois bien que sur ces rives d’Iseo, George Sand y vint moins pour travailler que pour accorder les battemens de son cœur au murmure cadencé de l’eau.

Au lieu de prendre tout de suite le bateau en partance pour Lovere, j’ai voulu d’abord suivre, pendant quelques kilomètres, la nouvelle voie qui longe le bord oriental jusqu’à Pisogne. C’est un chemin merveilleux, le plus souvent taillé en corniche dans le rocher, qui peut rivaliser avec la route du Ponale ou la célèbre Axenstrasse du lac des Quatre-Cantons.

Sous la clarté ardente du plein midi éblouissant, l’eau étale ses plis harmonieux comme une souple étoffe de soie brillante et pailletée. Des vignes courent d’arbre en arbre, chargées de grappes aux grains dorés qui me rappellent un excellent vin de Predore au goût fruité. Quelques jardins s’étendent mollement entre la route et le lac. Sur les coteaux, d’abord des oliviers, puis, faisant ressortir leur gris mat, des chênes verts et des châtaigniers. Dans le fond, les hautes montagnes se dessinent nettement sur le ciel d’un azur si intense qu’il a des reflets de métal et rappelle ces bleus que les primitifs peignaient derrière la tête de leurs madones. Plus loin encore, une fine ligne blanche indique la crête des glaciers.

Mais l’eau m’attire. Je demande à un pêcheur de me faire traverser le lac. Comme en un songe, bercé par le mouvement monotone des rames, je vois s’éloigner la terre et les maisons claires qui étincellent au soleil, dans un poudroiement d’or. Quelques villages sur les collines s’accrochent autour d’un campanile, ainsi que des nids d’hirondelles au bord d’un toit. L’eau miroite tellement que l’on a l’impression de glisser sur une glace sans tain. Une brise chaude, alanguie des parfums de l’été finissant, souffle. Parfois, à certains coups de vent, les senteurs d’un jardin proche arrivent si denses que la barque paraît entourée d’un nuage d’encens. L’air est tellement pur que je perçois distinctement les bruits venus des deux rives et que lorsque, au loin, la sirène d’un bateau déchire l’air, je crois voir au-dessus de ma tête se propager les ondes sonores.

L’heure est exquise et il me semble que je comprends tout à coup le charme propre de ces lacs. C’est que l’horizon en est limité et que les yeux s’arrêtent à des choses précises et réelles-Tout au long des côtes méditerranéennes, sur la Riviera, à Naples, Palerme ou Corfou, d’aussi beaux jardins reposent, dans