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vivement l’esprit de Goethe et, suivant l’exemple de l’illustre auteur du Voyage de Sparte, essayer de saisir l’influence que cette révélation avait eue sur son génie.

Arrivé à Vicence le 19 septembre 1786, Goethe va immédiatement au Théâtre Olympique. Il le trouve d’une beauté « inexprimable » et déclare aussitôt que son auteur est « essentiellement un grand homme. » Il est certain que peu de constructions produisent un effet aussi saisissant que ce dernier joyau laissé par Palladio à sa ville natale. Quand on l’a vu, on ne peut oublier la grâce de cette salle elliptique, la belle colonnade au-dessus des gradins avec son entablement de statues et surtout cette superbe façade de la scène où le maître voulut en quelque sorte se résumer, y mettant toute sa science et tout son art, et qu’il eut la joie d’achever avant de fermer les yeux à la lumière. Rien n’est plus élégant que ses deux ordres superposés et son attique. Trois magnifiques baies s’ouvrent sur le décor, suivant la formule chère à l’architecte, c’est-à-dire une grande porte centrale, large et haute, avec une belle arcade, et deux autres plus basses et plus étroites. L’édifice fut terminé par Scamozzi d’après les plans de Palladio ; il les compléta en dessinant les décors de la scène qui représentent, paraît-il, la route de Thèbes. Le succès fut énorme. Toute l’Italie envia ce théâtre. Machiavel et l’Arétin voulurent que leurs œuvres y fussent représentées. Quand l’un des derniers Gonzague, le si curieux Vespasien, eut besoin d’une salle de spectacle pour sa capitale de Sabbioneta qu’il avait bâtie de toutes pièces à l’image d’Athènes, il demanda à Scamozzi de lui en construire une pareille à celle de Vicence. Avec le temps, l’enthousiasme n’a pas diminué. Lorsque, quelques années après Gœthe, Napoléon pénétra dans la salle, il se retourna vers la reine de Bavière qui l’accompagnait et lui dit : « Madame, nous sommes en Grèce. » C’était bien, en effet, l’amour de la Grèce et de l’antiquité qui avait donné naissance à ce théâtre. Une « Académie olympique, » dont Palladio fut l’un des promoteurs, s’était fondée à Vicence en 1556 afin de ressusciter les chefs-d’œuvre. On demanda à l’architecte d’élever dans la Basilique un théâtre en bois pour y jouer une Sophonisbe de son ami et protecteur Trissino. La réussite fut telle que les membres de l’Académie résolurent de construire à leurs frais la salle actuelle sur un terrain que leur donna généreusement la commune de Vicence. L’inauguration eut lieu en 1585