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collines et étages en terrasses. Les pas peuvent monter avec le rêve. Les parcs de l’Ile-de-France ou de la Touraine s’étendent au contraire sur de vastes espaces plats ou à peine ondulés ; leurs lignes se développent en majesté et rendent une harmonie un peu froide et sévère. Ici, les villas ont l’aspect tourmenté des âmes qui les créèrent, et l’on en goûte incomplètement le charme si l’on ne sait pas exalter sa sensibilité par le décor. Les campagnes de Versailles ne s’admirent jamais mieux que dans le calme et la solitude. Les allées italiennes bordées de cyprès ou de hauts buis, aux détours brusques, aux coins de soleil et d’ombre, saturées de senteurs fortes, conviennent aux cœurs tumultueux et passionnés.

Avec le jour qui décline, les fleurs embaument. Des parterres d’œillets parsèment les pelouses. Des massifs de sauges pourprées luisent d’un éclat d’incendie aux rayons obliques du soleil. De grands cannas rouges et jaunes, des glaïeuls roses s’inclinent au sommet de leurs longues tiges, comme lassés. Des lichens rongent les statues qui se dressent dans la verdure, animant seules ce paysage de rêve. Les marbres s’écaillent. Les troncs des vieux arbres s’usent et se dessèchent sous l’étreinte des bras épuisans du lierre qui se multiplie. Une fontaine moussue pleure le temps passé. Pourtant une petite maison de jardinier toute fleurie, tapissée de roses et de glycines, rappelle à la réalité. Un mur lui fait suite, entièrement recouvert d’une haie de jasmins ; le feuillage est constellé de points blancs, comme après une neige d’avril. Sur les premières terrasses, aux coins plus ensoleillés, des lauriers-roses, des orangers, des palmiers mettent quelques notes plus chaudes. Et partout, par cette fin d’après-midi de septembre, des tubéreuses en fleurs répandent au-dessus du sol des ondes lourdes de parfums qui grisent étrangement.

Mais la gloire du jardin, c’est l’allée de cyprès qui, grimpant de gradins en gradins, escalade la colline. On n’y pénètre qu’avec gravité. Un mystère plane. Je ne sais quoi d’émouvant est autour de vous, qui ôte toute envie de rire ou de plaisanter. En gravissant les escaliers de briques rouges, le bras de votre compagne s’appuie plus fort sur le vôtre. Vous lisez les inscriptions sur les arbres : 300, 400, 500 ans… et une angoisse vous prend. Ainsi trois, quatre, cinq siècles et plus ont défilé devant l’immuable sérénité des cyprès vénérables qui règnent sur les magnificences du parc et de la ville qu’ils dominent. Et vous