Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Apollinaris, il célèbre « ses allées plantées d’arbres verts, touffus et bien taillés, ses platanes où le lierre grimpe et relie les troncs par des guirlandes souples. » Ce n’est que beaucoup plus tard, à la Renaissance, qu’on ne se contenta plus des beautés naturelles et qu’on les compléta par des ornementations compliquées, des portiques, des fantaisies architecturales, des pièces d’eau machinées et tout ce que Barrès appelle si joliment « l’art de disposer les réalités de manière qu’elles enchantent l’âme. » Pourtant, à la différence des Anglais et quelquefois des Français, les Italiens ne cherchèrent pas à imiter artificiellement la nature ; ils ne voulurent que l’embellir suivant les règles de l’art.

A Vérone, plus qu’ailleurs peut-être, les jardins furent toujours en honneur. De tous temps, les bords de la Brenta se couvrirent de parcs et de maisons de campagne. L’an des plus anciens documens sur les villas du moyen âge fut écrit, dès le XIVe siècle, pour la famille véronaise des Cerruti, et c’est également un Véronais, Leonardo Grasso, qui fit les frais du fameux Songe de Poliphile où sont décrits et gravés tant de bosquets fleuris. Ce matin encore, au Musée Civique, j’ai remarqué une belle fontaine et un décor de verdure dans la Sainte Catherine du Véronais Vittore Pisanello.

Une petite cour aux murs crénelés précède le jardin Giusti ; mais les murs sont de briques roses, les créneaux tapissés de vigne vierge et, à travers les grilles, le parc sourit si aimablement qu’il semble qu’un visage ami vous accueille dès le seuil et vous engage à entrer.

« La nature, dit de Brosses, a assez bien servi le palais Giusti pour lui donner dans son jardin même des rochers et quantité de cyprès prodigieusement hauts et pointus qui lui donnent l’air d’un de ces endroits où les magiciens tiennent le sabbat. » Depuis la visite du spirituel magistrat dijonnais, auquel Vérone rappela Lyon avec la colline de Fourvière, le parc n’a guère dû changer d’aspect. Valéry, bibliothécaire du roi à Versailles, le trouva, en 1827, occupé par un bataillon autrichien, et tout ce que lui inspire l’allée de cyprès, — l’une des plus belles du monde, — c’est que « ses perpétuels gradins, destinés jadis à faire sécher les draps, évoquent le temps où le travail de la laine était noble et ne faisait point déroger. »

Ce qui caractérise les jardins de Vérone ou de Florence, de Bellagio, de Gênes ou de Rome, c’est qu’ils sont bâtis sur des