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Le grand-duc de Bade approuvait la conduite énergique de l’Empereur, car, s’il avait cédé, il eût perdu toute autorité. Le grand-duc était allé prendre congé du prince de Bismarck. Mais celui-ci l’avait mal reçu et lui avait dit que c’était par sa faute qu’il s’en allait, car en appuyant les lois ouvrières, il avait contribué à le brouiller avec l’Empereur. Le grand-duc avait répliqué que c’était aux affaires prussiennes seules que le différend devait d’avoir dégénéré en rupture ; or, lui, ne s’était jamais mêlé de ces affaires. « À ce moment, Bismarck devint grossier. Le grand-duc se leva en disant que sa dignité lui défendait d’en entendre davantage ; qu’il voulait se séparer de lui en paix et qu’il s’en allait sur ce vœu auquel le prince ne manquerait pas de répondre : Vive l’Empereur, et vive l’Empire ! L’entretien s’était arrêté là. »

Pris au mot comme Talleyrand en 1815, et ainsi que le fit Talleyrand lui-même, le chancelier se répandit en récriminations violentes contre le souverain et contre ses conseillers. Retiré à Friedrichsruhe, le cœur gonflé de rage, il inonda les journaux de ses objurgations et de ses confidences perfides. Mais tous ceux qui, la veille encore, s’inclinaient devant lui jusqu’à terre, se relevaient joyeux et respiraient. « Chacun, remarque Hohenlohe, se sent un personnage, tandis qu’auparavant tous étaient rapetisses et comprimés. Ils se gonflent maintenant comme des éponges trempées dans l’eau ! » L’Empereur ne dissimulait pas non plus sa satisfaction personnelle. Il la manifesta d’une façon silencieuse au statthalter en lui serrant la main à lui faire craquer les doigts. Le ministre de la Marine, le général de Stosch, était ravi. « Il est heureux comme un roi, dit Hohenlohe, de pouvoir enfin parler librement et de n’avoir plus à redouter le grand homme. Cette sensation agréable est générale. Une fois de plus, il est donc vrai que les doux posséderont la terre ! »

Pendant que tous les courtisans et l’Empereur lui-même se réjouissaient d’être délivrés du despotisme du chancelier, une seule personne le plaignait. C’était l’impératrice Victoria qui, oubliant ses injustices, ses railleries et ses perfidies contre elle et Frédéric III, consentait à le revoir et lui demandait si elle ne pouvait pas lui être utile. Quelle fut la réponse du chancelier ? « Je ne demande que de la compassion ! » Ainsi, c’était l’une de ses plus grandes victimes que cet homme cruel voulait intéresser à sa disgrâce ! Quel ne dut pas être l’étonnement