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contre Frédéric III, dont Geffcken venait de publier le Journal intime, indignèrent nombre d’Allemands. « L’irritation, constate Hohenlohe, gagna toutes les classes et il se nuisit plus à lui-même qu’à l’Empereur. » Parlant à ce sujet avec le grand-duc de Bade, le statthalter apprit que Guillaume II n’aurait pas voulu qu’on attribuât la publication du journal à Geffcken. « Il n’était pas impossible, disait le grand-duc, que l’Empereur s’affranchît de Bismarck, s’il découvrait qu’on ne le renseignait pas exactement. Pour l’instant, l’Empereur évitait les froissemens, parce qu’il avait besoin de Bismarck pour faire passer son projet militaire. » Quelque temps après, le grand-duc s’était plaint que le chancelier, à la suite de l’arrestation du commissaire de police Wohlgemuth à Rheinhaben, eût voulu former la frontière suisse vers le canton d’Argovie et n’eût cherché aucun moyen de conciliation. « Herbert de Bismarck lui-même, affirmait le grand-duc, avouait ne plus comprendre son père, et de divers côtés on commençait à craindre qu’il n’eût la tête dérangée. » Une brouille avec la Suisse semblait une grave imprudence, car tous les plans allemands de campagne reposaient sur sa neutralité bienveillante. « La maltraiter, c’était la pousser dans les bras de la France et découvrir le flanc gauche allemand. L’Empereur pouvait ramener la confiance en faisant acte d’autorité et en coupant court à la querelle. Mais la conséquence ne serait-elle pas la retraite de Bismarck ? » Le grand-duc était décidé à éclairer l’Empereur. Un autre sujet le préoccupait et lui semblait de nature à impressionner Guillaume II. Le chancelier voulait laisser l’Autriche poursuivre toute seule une politique agressive contre la Russie, de manière à éviter le casus fœderis et à permettre à l’Allemagne de se tenir à l’écart. Cela faisait supposer qu’un conflit pourrait éclater prochainement entre Guillaume II et Bismarck. Le 24 août, dans un nouvel entretien avec le grand-duc, Hohenlohe disait que Bismarck avait décidé de rompre l’alliance avec l’Autriche et de se rapprocher tout à fait de la Russie. « Ces oscillations du chancelier avaient fait réfléchir l’Empereur, et d’autre part avait grandi son opinion de lui-même. Il remarquait en outre qu’on lui taisait certaines choses, et depuis lors se montrait défiant. Un premier conflit avait éclaté entre lui et le chancelier et, au dire du grand-duc, la retraite du chancelier était à prévoir. » Quelques jours après, le grand-duc reprenait la conversation sur le même sujet.