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contre un tel adversaire ? Hohenlohe céda tout en gémissant et en remarquant, avec le grand-duc de Bade, « que toutes ces violences ne servaient qu’à jeter les Alsaciens dans les bras des Français, à rendre les Allemands ridicules et à nuire au prestige de l’Empire à l’étranger. » Il attendit patiemment le jour où le nouvel empereur se fatiguerait, lui aussi, de la domination tyrannique de Bismarck et où s’écroulerait le pouvoir de l’homme qui dominait l’Allemagne et l’Europe depuis plus de vingt ans.

La chute de Bismarck forme l’un des passages les plus curieux des Mémoires. Le récit en est épars dans les notes et la correspondance de Hohenlohe. Je vais essayer de le résumer clairement et d’en faire ressortir en quelques pages tout l’intérêt.

Il y eut comme un soupir de soulagement dans la nation allemande, quand on apprit que le colosse était tombé. C’était le fameux ouf ! que Napoléon Ier pressentait devoir sortir de toutes les poitrines à la nouvelle de sa mort. La roideur, la brutalité, l’esprit sarcastique et implacable du chancelier lui avaient attiré de justes et profondes inimitiés. Nul n’avait oublié les paroles cruelles qu’il avait prononcées sur la maladie et sur l’incapacité de l’infortuné Frédéric III, les calomnies odieuses qu’il avait répandues contre les soins prodigués à l’illustre malade par le savant docteur Mackensie, les railleries amères dirigées par lui aussi bien contre la reine Augusta que contre l’impératrice Victoria, enfin son dernier mot à Radolin qui lui demandait ce qu’il pensait de la terrible agonie de l’Empereur : « Je n’ai pas le temps de faire de la politique de sentiment ! » Dans un entretien intime avec le statthalter, l’impératrice Victoria avait constaté en 1888 que le jeune empereur, Guillaume II, paraissait être entièrement dans les mains de Bismarck. Depuis vingt ans, le chancelier avait exercé un empire incontesté sans souffrir que le souverain eût une volonté propre. Il tenait à mettre solidement son fils Herbert en selle et à en faire tôt ou tard son successeur. Mais il avait excité contre lui le comte de Waldersee, très bien vu à la Cour, ainsi que toute sa coterie. Il s’irritait et s’exaspérait de la moindre opposition, et les ennemis de sa politique commençaient à découvrir en lui des côtés vulnérables. Au mois de janvier 1889, ses attaques non dissimulées