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l’avait rempli d’admiration. » Il appréciait surtout ce passage : « Personne ne me doit de remerciemens et celui qui prétendrait que j’en attends, me calomnierait ; car j’ai fait mon devoir et rien de plus ! » Le chancelier ne le paya pas de retour, car il fit, comme on le sait, tout ce qu’il put pour exciter les suspicions de l’Europe contre le nouveau Cabinet.

Un mois après, Gambetta revint devant Hohenlohe sur la nécessité d’adopter le scrutin de liste. C’était pour lui le seul moyen de constituer une majorité solide. « On ne peut pas gouverner, disait-il, si l’on voit chaque jour se former une majorité nouvelle. » L’infatigable Blowitz, qui allait porter des nouvelles d’ambassade en ambassade, vint dire à Hohenlohe, le 19 janvier, que si Gambetta ne démordait pas de cette question, il tomberait. Le 26, la prédiction se réalisa. Devant le rejet de son projet de révision limitée portant sur la modification du scrutin pour les élections de la Chambre et du Sénat, ainsi que sur la réduction des droits financiers du Sénat à un simple contrôle, Gambetta se retira. Ceux qui étaient à la Chambre le 26 janvier n’oublieront pas cette grande journée. Gambetta, drapé dans une grande redingote noire, la figure énergique et enflammée, le corps droit et ferme, la main sur un énorme portefeuille qui contenait ses dossiers de réformes, écarta avec adresse les coups droits que lui portait le rapporteur de la Commission, l’ancien préfet de police Andrieux, et nia de toutes les forces de son éloquence qu’il eût la pensée de descendre à la conception misérable et avilissante d’une dictature. La République n’avait pas d’adversaires. Il ne lui restait qu’à se gouverner elle-même, à lutter contre les divisions qui l’assiégeaient, à écarter les personnes pour ne voir que le pays. Le changement de législation électorale était une nécessité suprême de bon gouvernement. En fin, il y avait quelque chose que l’orateur entendait placer au-dessus de toutes les ambitions : c’était le relèvement de la pairie.

Des applaudissemens, des bravos, des acclamations enthousiastes saluèrent, mais pour la dernière fois, ces accens éloquens. Quelques instans après, 268 voix contre 218 décidaient du sort du gouvernement. Le lendemain, Gambetta partait pour l’Italie avec l’espérance que le pays, mieux éclairé, comprendrait et accepterait un jour son programme de réformes et reprendrait les vraies traditions. « Je sors, disait-il, par la grande porte.