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Au mois d’octobre, Hohenlohe se rendit à Varzin où le chancelier lui demanda des nouvelles de Gambetta qui venait de faire un voyage en Allemagne. « Où est-il resté ? disait-il, je l’attends toujours. » Gambetta étant sans aucun doute appelé à jouer un rôle considérable en France, Bismarck eût volontiers échangé quelques idées avec lui. Mais les diverses tentatives qui avaient été faites jusque-là n’avaient pu aboutir. Aux questions insidieuses de Blowitz, Hohenlohe répondait : « Non, Gambetta n’a pas été à Varzin, et cependant, le prince l’eût volontiers accueilli. » De retour à Paris, l’ambassadeur vit Barthélémy Saint-Hilaire, ministre des Affaires étrangères, qui considérait le ministère Gambetta comme certain. Il reconnaissait les qualités de cet homme politique, son talent, sa vivacité d’esprit, son patriotisme. « Mais Gambetta, disait-il, a grandi dans une sphère à laquelle, lui, Saint-Hilaire, est étranger, et dans laquelle il ne pourrait s’acclimater. Orateur, mais pas homme d’Etat, il manque à Gambetta le calme de la réflexion. » Hohenlohe devinait dans les paroles de son interlocuteur l’espérance que Gambetta s’userait promptement et le désir qu’on eût recours à des hommes plus modérés. Barthélémy Saint-Hilaire craignait que Gambetta ne devînt un danger pour Grévy, car il serait Président de la République en fait et le rôle de l’autre réduit à rien.

Le 3 décembre 1881, Gambetta, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, donnait son premier dîner diplomatique. « Il nous reçut, écrit Hohenlohe, à la porte des salons. J’avais pour voisins le nonce qui occupait la place de la maîtresse de maison en face de Gambetta et le nouveau ministre de l’Intérieur, jeune homme d’un extérieur et d’une conversation agréable. C’était Waldeck-Rousseau. Gambetta avait à ses côtés Lyons et Orlov. Le dîner provenait des cuisines du fameux chef Trompette et non pas de chez Potel et Chabot, comme les dîners des ministères en général. Partant, il était très bon et ne me causa aucun dérangement d’estomac, comme la plupart des dîners officiels. Après le dîner, Gambetta me dit qu’il ne comprenait pas l’opposition faite par le Reichstag à la politique financière du chancelier, puisque, après tout, elle tendait à fortifier l’unité de l’Empire. Je lui expliquai que le parti de l’opposition, tant progressiste que centre, était adversaire de cette unité fédéraliste. Il l’ignorait, et dès lors il comprit cette politique. Le discours du chancelier, — du 28 novembre à Hambourg, —