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et l’assurance d’en acquérir de nouvelles lui fussent garanties. Mais Thiers ne se préoccupait pas seulement de la formation d’un gouvernement durable, il continuait à défendre une des forces indispensables à toute nation qui veut vivre et prospérer, l’armée. C’est ainsi qu’ayant appris qu’une motion tendait à réduire le service militaire de cinq ans à trois ans, il usa « des privilèges d’un vieillard, » — c’est Hohenlohe qui rappelle ce mot, — pour dissuader nombre de ses collègues de la voter. C’est lui-même qui poussa Gambetta à prononcer son discours du 12 juin 1876 contre l’abaissement inopportun de la durée du service militaire.

Le 18 juin, l’ambassadeur apprit avec un certain dépit par la princesse Troubetzkoï que Thiers faisait une peinture épouvantable des conséquences que pouvait avoir à cette date la politique en Europe. Il prétendait que la Russie allait se trouver isolée en face de deux ennemis : l’Angleterre et l’Allemagne. « Le but de Thiers, remarque Hohenlohe, est apparemment de gagner les Russes à la France, en la présentant comme le seul aide de la Russie. » Il semblerait d’ailleurs que les invites de l’ancien président fussent assez mal accueillies, car si l’on en croit certaines confidences d’Orlov à l’ambassadeur allemand, Thiers était mal jugé par l’ambassadeur russe. « Thiers, qui reproche au duc Decazes son manque d’énergie dans les affaires d’Orient, reste toujours, aurait dit Orlov, fidèle à sa propre politique qui provoqua la quadruple alliance contre la France, et il oublie que cette politique était plutôt un four. » Et Hohenlohe rassuré mande à Bismarck : « Je ne trouve pas trace de l’idée d’une alliance franco-russe. Au dire d’Orlov, Thiers lui en veut de tenir le régime actuel pour une comédie passagère et de voir dans l’Empire le véritable avenir de la France. »

Revenant à la question extérieure, Thiers faisait à Hohenlohe les remarques suivantes le 23 janvier 1877, au moment où la conférence de Constantinople se séparait sans avoir rien décidé : « Les Turcs sauraient faire à l’heure actuelle les concessions nécessaires et offrir la paix aux Serbes, aux Monténégrins, à des conditions favorables. M. de Bismarck ne pouvait penser à précipiter l’Europe dans une guerre générale. La supposition même en était ridicule. Qu’elle songeât à rouvrir les hostilités avec la France, comme on le craignait ici, lui n’en croyait rien. De son côté, la France ne voulait pas guerroyer. Sans doute, il lui fallait