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Malesherbes ne céda du moins qu’avec la plus amère tristesse. La lettre de Louis XVI lui fut remise par l’abbé de Véri, il la lut, soupira, parut en proie à l’agitation la plus vive : « A l’exception d’une maladie mortelle, s’écria-t-il d’un ton de désespoir, il ne pouvait rien m’arriver de plus funeste ! » Il se résigna néanmoins, car « on ne peut, dit-il, résister à un désir bien plus puissant qu’un ordre. » Son chagrin se doublait d’un étonnement sincère : ayant toujours vécu à l’écart de la Cour, opposé à la politique de la plupart des ministres du Roi, il ne pouvait concevoir qu’on eût songea lui. Lorsqu’il vint pour la première fois au château de Versailles, il rencontra le duc de Croy, qui le complimenta sur son élévation : « Par le chemin que je prenais, répliqua-t-il avec candeur, je ne croyais pas venir ici ! »

Cette grande question réglée, on fit peu de façons pour expédier le duc de La Vrillière. Maurepas avertit son beau-frère qu’on désirait sa démission ; le duc vint en parler au Roi, qui répondit froidement : « Oui, monsieur, je trouve bon que vous songiez à votre retraite. » Et ce fut tout ; La Vrillière se le tint pour dit. Il obtint pour consolation une pension de 60 000 livres, et Malesherbes lui succéda dans toutes ses places et dignités, y compris « l’entrée au Conseil, » grâce que l’on accordait rarement aux nouveaux secrétaires d’État[1], ce qui fut regardé comme une grande marque de faveur. C’était une idée de Maurepas, heureux du triomphe remporté sur la coterie Choiseul. Le Mentor, le jour même, alla féliciter le Roi de la « précieuse acquisition » qui renforçait le ministère : « C’est un homme, lui dit-il[2], que je vous donne pour me remplacer, et vous ferez bien de mettre voire confiance en lui. Il a des lumières pour voir en grand toutes les parties du gouvernement ; les autres ne prendront pas ombrage de lui, parce que son âme simple et désintéressée n’en donne à personne. Il fera le bien, parce qu’il a l’éloquence persuasive, par la langue comme par le cœur. » Il termina par une phrase de regret pour le « chagrin » fait à la Reine : « Si je m’aperçois que je continue à lui déplaire, ajouta-t-il d’un ton mélancolique, je dois penser à ma retraite prochaine. — Oh ! pour cela, non, dit Louis XVI en lui pressant

  1. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 10 juillet 1175. — Archives de l’Aube.
  2. Journal de Véri, passim.