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Toutes les affaires réglées, la Cour quitta Compiègne dans l’après-dînée du 8 juin. La Reine fut à Reims la nuit même ; le Roi coucha à Fismes et n’arriva que le lendemain. Le trajet s’effectua sans incident et dans des conditions généralement heureuses. Une multitude de paysans accoururent des villages voisins pour voir défiler le cortège ; dans le grand silence de la nuit, sous la clarté argentée de la lune, s’élevèrent de longues acclamations. Toutefois, à cette foule amusée, de place en place se joignaient quelques misérables, qui, agenouillés sur le bord des fossés, levaient leurs mains au ciel, puis « les ramenaient sur leur bouche, comme pour demander du pain. » Cette vue jeta une ombre de tristesse et attendrit l’âme compatissante de Louis XVI. Malgré tout, et si l’on néglige certaines manifestations isolées, la sympathie du peuple accompagna les jeunes souverains pendant toute la semaine du Sacre. Le jour de la cérémonie, qui eut lieu le dimanche 11 juin, et dont je me garderai, après tant d’historiens, de refaire ici le tableau, la cathédrale, rapporte Mercy-Argenteau, « retentit de cris, de battemens de mains et de démonstrations qu’il serait difficile de rendre. » Même enthousiasme populaire, lorsque le soir venu, les parades terminées, le Roi, vêtu avec simplicité, prit sa femme « sous le bras » et, durant une grande heure, fut se promener bourgeoisement avec elle au milieu de la foule, sans gardes, sans escorte, « sans nul indice de précaution. » Les rues, par ordre de Louis XVI, n’avaient pas été revêtues de la parure de tapisseries qu’imposait un ancien usage : « Non, non, avait-il répondu, point de tapisseries ; je ne veux rien qui empêche le peuple et moi de nous voir. » Ce mot eut le plus grand succès. Les cris de « Vivent le Roi et la Reine ! » suivirent partout les souverains au passage, et le public, selon l’expression d’un témoin, était « dans une sorte d’ivresse. »

Au milieu des éclats de cette joie générale, quelques sots incidens de Cour passèrent presque inaperçus, comme la dispute des deux évêques de Soissons et de Beauvais, s’invectivant, se coudoyant et se bousculant en public, pour savoir qui des deux irait, le matin du grand jour, tirer le Roi hors de son lit, et comme aussi la bizarre incartade de la maréchale de Mouchy, dame d’honneur de la Reine, qui, froissée de se voir enlever par le grand chambellan la présidence de la table d’honneur, déserta brusquement son poste et s’en alla « dîner en ville, » en