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défaillance percent entre les lignes de ce billet embarrassé, par lui adressé à Vergennes[1] : « Je suis bien aise, monsieur, d’avoir vu la lettre que vous avez écrite à M. de Guines le 3 avril ; c’était sur celle-là qu’il fondait son attaque à M. d’Aiguillon, et, pour vous dire la vérité, il n’avait pas trop de tort. Entrer en lice supposait une attaque mutuelle, et vous n’auriez pas dû, connaissant l’homme, vous servir d’expressions ambiguës. Au reste, ce que je vous dis là, il n’y aura que nous deux qui le saurons, et, quand on m’a parlé de cette lettre, j’ai répondu qu’elle n’ajoutait rien à la permission que je lui avais donnée de se servir de tous ses moyens de défense, sans toutefois attaquer M. d’Aiguillon. »

Le procès fut jugé le vendredi 2 juin 1775 par la cour du Châtelet, après une séance qui dura jusqu’à minuit passé. Par sept voix contre six, les accusations portées contre Guines étaient déclarées « calomnieuses ; » Tort était condamné à « faire réparation en face de douze témoins désignés par le comte de Guines » et à payer « trois cents livres d’amende, » peine assez bénigne, à tout prendre, pour une attaque si audacieuse et lorsqu’il s’agissait d’un homme que son adversaire se flattait de « faire ramer sur les galères du Roi. » Guines repartit pour Londres le lendemain, mal satisfait de ce triomphe médiocre et bien résolu, disait-il, à faire appel de cette « sentence baroque. » Mais, si sa victoire était mince, ses puissans protecteurs allaient manœuvrer de manière à y ajouter de l’éclat.


IV

Le baron de Besenval, qui d’ailleurs grossit volontiers l’importance de son rôle, affirme avoir, dans l’occurrence, stimulé, dirigé l’action de Marie-Antoinette. « Je lui représentai avec feu, écrit-il, le danger qu’il y avait pour elle de laisser une cabale aussi inquiétante, ayant à sa tête le duc d’Aiguillon, dont le caractère méchant, vindicatif et profond devait lui faire tout craindre… Je lui fis comprendre la nécessité d’éloigner un tel homme… Je lui conseillai de mettre en avant, vis-à-vis du Roi, l’audace avec laquelle il avait poussé[2]le comte de Guines, quoiqu’il ne pût douter de la protection qu’elle lui accordait, et

  1. Billet du 22 mai 1775. — Arch. nat., K. 164.
  2. C’est-à-dire combattu.