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d’aventures, cette cordialité de surface, légèrement teintée d’ironie, cet instinct de conquête et de domination qui, du temps même de sa jeunesse, lors de sa mission à Rome, faisait dire au Saint-Père, en lui désignant un fauteuil : « C’est à vous de décider, vous êtes Pape ! » C’était aussi la même âpre ambition, le même appétit du pouvoir, la même assurance convaincue, partagée par tous ses intimes, que lui seul était assez fort pour gouverner la France et pour tenir tête à l’Europe, et, par suite, la même volonté de remonter, par tous les moyens, sur la scène.

Dans la brillante cohorte de ceux qui s’attachaient à sa fortune, deux personnages, à cette époque, se distinguaient par leur audace et semblaient mener la partie. C’était d’abord une femme, la comtesse de Brionne, née de Rohan-Rochefort, alliée à la maison d’Autriche, belle, intelligente et hardie, maîtresse, disait-on, de Choiseul, et fort avant dans les bonnes grâces de Marie-Antoinette. C’était ensuite le baron de Besenval, ce type achevé du politicien courtisan, Suisse de naissance et Gascon par tempérament, hâbleur intarissable, tranchant sur tout et se mêlant de tout, brouillon honnête, intrigant sans avidité et conspirateur sans malice, téméraire aujourd’hui dans les entreprises politiques comme il l’était jadis sur les champs de bataille, unique pour secouer à propos la nonchalance naturelle de la Reine, pour lui souffler, au moment opportun, le goût et le courage d’agir. La comtesse de Brionne et le baron de Besenval, étroitement liés tous deux avec le Comte d’Artois, l’avaient facilement entraîné dans la cause du duc de Choiseul, comptant sur le jeune prince comme sur un précieux auxiliaire quand sonnerait l’heure de la bataille.

La première escarmouche eut lieu au commencement d’avril. La comtesse de Brionne remit à Marie-Antoinette un mémoire anonyme qui peignait au vif les dangers de la situation présente et désignait nettement Choiseul comme le seul moyen de salut. La Reine communiqua le mémoire à Louis XVI, qui le lut sans mot dire, puis, quelques jours plus tard, pressé de questions par sa femme, répondit d’un ton péremptoire : « Qu’on ne me parle jamais de cet homme[1] ! » Le coup direct ayant manqué, ou recourut à une attaque de biais. L’animosité de la Reine à l’égard du duc d’Aiguillon offrit un terrain favorable. Si l’on obtenait

  1. Correspondance secrète de Métra. — Journal de l’abbé de Véri.