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ployer les artifices les plus misérables pour me tromper, pour me faire croire que je te tiens dans mes bras ! Ah ! si je pouvais te voir, t’embrasscr, si je pouvais, si je pouvais !

À jamais ton fidèle, ton malheureux et incompréhensible
Clément.


Ayant résumé à Arnim le contenu de celle lettre, Brentano ajoutait : « Et figure-toi que la Méreau répond, pour la première fois, à cette lettre, convient de la justesse de mes sages reproches, et tantôt se montre ironique, puis redevient tout affectueuse, en m’exprimant, dans la lettre entière, une timide invitation à renouer nos rapports ! » Cela encore était strictement vrai. La terrible lettre du jeune homme avait, semble-t-il, ouvert enfin les yeux de Sophie au caractère exceptionnel et supérieur d’un amour que, jusqu’alors, elle avait méconnu. Le fait est que, dès ce moment, les « rapports » de ce couple romantique se sont trouvés « renoués, » et que bientôt Sophie Méreau, au sortir d’entretiens avec Brentano, a pu noter dans son « journal » intime des impressions comme celles-ci : « Printemps du cœur. Grand changement. Fleurs, amour, recueillement, vie. » Ou encore, sur une autre page : « Journée bienheureuse, où j’ai pu enfin découvrir la véritable source de mon malheur, où mon esprit s’est senti raffermi, comme la nature après une pluie d’orage, et où l’authentique jouissance de la vie m’est apparue, proche et accessible, indépendante de tout âge et de toute durée ! » Quelques mois après sa bravade à la « Psyché restaurée, » Brentano, dans une série de longues lettres enflammées, suppliait Sophie de devenir sa femme, avant même de savoir que, suivant l’expression de son amie, « la nature avait désormais rendu ce mariage indispensable. » À la fin de novembre de cette année 1803, un pasteur protestant mariait les deux poètes ; et, pendant trois années environ, le jeune couple devait mener une existence assez orageuse, mais, en somme, infiniment plus unie qu’on n’aurait pu supposer, jusqu’au jour où, le 30 octobre 1806, la pauvre Sophie allait mourir d’un accident de grossesse, — pour être ensuite tendrement aimée et pleurée d’un grand enfant de génie qui, trente ans après, au terme d’une longue et aventureuse carrière, reconnaîtrait encore n’avoir trouvé qu’auprès d’elle un peu de repos.


Telle est, réduite à ses lignes essentielles, l’histoire que nous racontent les deux volumes très heureusement publiés par M. Amelung. Mais l’intérêt véritable des lettres reproduites dans ces volumes pour la première fois n’est pas de nous renseigner sur un roman trop réel