Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
REVUE DES DEUX MONDES.

gouvernement austro-hongrois doit décider en toute indépendance quelles sont pour lui les questions vitales et comment il entend les traiter. Nous avions évidemment le droit de nous demander jusqu’à quel point nous nous mettrions en avant pour les intérêts spéciaux de notre alliée, mais pas un instant nous n’avons hésité…[1]. » L’accord austro-turc une fois conclu, la politique allemande ne songe plus à se demander « jusqu’à quel point elle doit se mettre en avant. » Elle est incorporée à la politique autrichienne. Elle n’admet pas l’hypothèse d’une solidarité sous conditions : « Il est injuste, dit le prince de Bülow, de reprocher au gouvernement allemand d’avoir épousé la cause de l’Autriche avec un zèle superflu… Ce reproche ne saurait s’appuyer sur la doctrine de Bismarck. Celui-ci en effet a déclaré en 1888 qu’un État comme l’Autriche-Hongrie ne manquerait pas, si on le laissait dans l’embarras, de devenir hostile… Soutenir l’Autriche est conforme aux intérêts de l’Allemagne… Si nous n’avions pas soutenu l’Autriche, nous nous serions bientôt trouvés nous-mêmes face à face avec le même groupement de puissances auquel l’Autriche aurait été obligée de céder. Si l’Allemagne avait essayé de soutenir l’Autriche d’une façon moins franche, elle eût encouragé les adversaires de l’Autriche à infliger à celle-ci une défaite diplomatique, qui par contre-coup eût affaibli la position de l’Allemagne en Europe… D’ailleurs l’Autriche a le droit de son côté[2]… » La raison de droit n’intervient que subsidiairement. L’argument politique suffisait. Le chancelier triomphe. Il est également écouté à Vienne et à Constantinople. L’Autriche lui doit plus de gratitude qu’elle ne le souhaiterait. La Turquie militaire se souvient qu’elle a été à l’école de l’Allemagne. Quant à la Russie, irritée de la pression qu’elle a subie, elle est sortie du moins de la crise et reprend sa liberté. Pour le prince de Bülow, c’est un succès incontestable.

Ce succès, dans les conditions où il se produit, réagit sur l’ensemble de la politique allemande et arrache le chancelier aux incertitudes des mois précédens. Le réveil de l’Autriche, sa volonté d’agir en grande puissance et de connaître, à son tour, les réalisations fructueuses, pose sous un jour nouveau le problème de la Triple Alliance. Ce n’est pas de l’Italie seulement qu’on peut redouter des « tours de valse ; » les tentatives de « débau-

  1. Reichstag, 5-11 décembre 1908.
  2. Ibid., 29 mars 1909.