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LE PRINCE DE BÜLOW.

doute sur le terrain réaliste où Bismarck avait su l’asseoir ; mais il doit compter avec l’Empereur prime-sautier et autoritaire, avec le pays énervé et entraîné à la défiance, avec une opposition où voisinent les deux partis les plus forts du Reichstag, le Centre et les socialistes, avec une majorité hétérogène dont l’existence même est une gageure. De là, des incertitudes, des sursauts, des à-coups, en dépit d’une tendance manifeste à éviter les chocs inutiles et à préparer les conciliations nécessaires.

Avec la France d’abord ce défaut de fixité est sensible pendant de longs mois. Au début d’août 1907, nos troupes débarquent à Casablanca, magnifique occasion pour les pangermanistes de suspecter nos intentions. Le chancelier et ses collaborateurs se défendent de ressentir ces soupçons. Le prince de Bülow lui-même en donne l’assurance à M. Jules Cambon et certainement il est sincère (Norderney, août 1907). Mais bientôt la révolte victorieuse de Moulai Hafid contre son frère ramène la diplomatie allemande aux procédés d’hier. En dépit des raisons juridiques et politiques qui, plus qu’aucune autre, la lient au sultan légitime, elle ressent pour le prétendant une inclination irrésistible. En juin 1908, les envoyés hafidiens, — officieusement, il est vrai, — sont reçus à la Wilhelmstrasse. En septembre, une circulaire suggère aux puissances de reconnaître sans retard le rebelle vainqueur : cependant que la France et l’Espagne étudient les conditions à mettre à sa reconnaissance. Est-ce là ce qu’avait fait espérer le chancelier, quand il avait dit : « Nous n’interpréterons pas l’acte d’Algésiras dans un esprit de mesquinerie et de chicane[1] ? » Il finit cependant par adhérer aux propositions franco-espagnoles. Mais presque aussitôt, survient l’affaire des déserteurs de Casablanca, qui conduit l’Europe aux portes de la guerre. Rendons justice au prince de Bülow : il se rallie à notre argumentation ; il accepte l’arbitrage pur et simple, c’est-à-dire sans l’expression préalable de regrets inadmissibles ; il écarte le danger de guerre. Mais sa politique reste flottante et dès lors toujours inquiétante, sans qu’il soit possible de prévoir chaque jour ce que sera le lendemain. Les mots rassurans ne manquent pas. « J’espère, dit le chancelier, qu’il sera possible d’arriver à une entente dans les questions marocaines qui peuvent encore surgir[2]. » Mais ce n’est qu’une

  1. Reichstag, 24 mars 1908.
  2. Ibid., 5-11 décembre 1908.