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LE PRINCE DE BÜLOW.

Le prince de BüloW, d’ordinaire si fin et si pénétrant, a accumulé, durant cette crise, les erreurs de psychologie, fruit d’un entraînement spontané ou d’influences extérieures. Quatre arbitrages s’offraient à lui, celui de l’Italie, celui de la Russie, celui des États-Unis, celui de l’Autriche : il les a repoussés. À ces puissances, qui, toutes, souhaitaient le maintien de la paix par une transaction honorable, il a rendu la tâche si malaisée, qu’il les a rejetées du côté de la France. De l’occasion marocaine, que reste-t-il ? À peu de changemens près, l’Europe s’est approprié les réformes préconisées par la France et a consacré l’intérêt spécial de celle-ci à l’accomplissement de ces réformes. Mais il y a plus : en exigeant la conférence, le prince de Bülow avait voulu rompre un système d’alliances, d’ententes, de rapprochemens, qu’il jugeait hostiles à l’Allemagne : or, ces groupemens, à peine constitués avant la crise, en sortent fortifiés. La solidarité franco-anglaise s’est scellée au feu de l’attaque allemande. Cette solidarité exerce sur Madrid et sur Rome une attraction croissante. L’alliance franco-russe elle-même a manifesté, sinon sa force militaire, du moins sa valeur diplomatique. Enfin pour la première fois. Anglais et Russes, si longtemps et si profondément divisés, ont travaillé de concert à une œuvre commune, œuvre d’équité et d’équilibre, qui peut les réunir encore. L’Allemagne elle-même, à trop exiger de ses alliés, les a mécontentés. Dans la presse italienne, c’est contre elle un déchaînement. À Vienne, le « brillant second » ne se résigne pas à ce rang subalterne. L’Allemagne n’est nullement affaiblie, mais elle est diminuée. On craindrait, en exprimant cette opinion, d’obéir à un parti pris national, si elle n’était publiquement énoncée dans toute la presse allemande et à la tribune même du Reichstag, si tous les journaux, du Vorwärts à la Deutsche Tageszeitung en passant par la Gazette de Francfort, ne constataient pas, comme MM. Bassermann et Paasche, la disproportion de l’effort et du résultat. Le chancelier lui-même, physiquement et moralement lassé, succombe, au terme de la lutte, à une dépression physique que le succès lui eût sans doute épargnée et une maladie de plusieurs mois, sans conséquences graves heureusement, l’oblige à renoncer pour un temps à l’exercice du pouvoir.

La conférence close, l’Europe aspire au repos. Et l’Allemagne, autant que quiconque, le désire. En 1906 et en 1907,